mardi 20 avril 2010

Ecritre à Butembo - Chapitre 2 - Arrivage à Kinshasa - Okoningana !

Didier de Lannoy

Butembo !
sous-titré On m’envoie écrire ailleurs ! Ici, je dérange trop ? compte-rendu en musique d’un voyage dans le temps, à Kinshasa, 23 novembre 2007 - 11 janvier 2008
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Extraits

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Arrivage à Kinshasa

Okoningana !


On atterrit.

Ça va bouger ! Ça va chauffer ! Kinshasa moto… moto !

- Comment dit-on « bonjour » avec beaucoup de respect en lingala, petite chérie ?

- Losako !

Mon ami de toujours (et « toujours » date d’octobre 1964, ce qui n’est pas rien) Anastase Nzeza Bilakila, alias « Ya Nze », la seconde de mes deux grandes filles, Nadine, alias « Gododo », alias « Petit Bal », et ma petite-fille Tensia m’attendent à l’aéroport. Et un parent de Marc, le papa de mes petits-enfants, qui me prend en charge au pied même de la passerelle (il travaille à la Régie des Voies Aériennes, ça aide !)… Et Ndjoli-Clément Junior (NCJ), fils et photocopie de mon ex-beau-frère, « Antilope », qui, ce soir, conduit la voiture de Nadine, sa cousine.

Et je rencontre aussi

- Avec plaisir, évidemment ! Mais mon séjour à Kinshasa est déjà moins secret !

patientant au salon d’honneur, le professeur Sabakinu, l’ami de Filip, venu chercher son fils, Guy, de retour

- En vacances ou définitivement ?

au pays, après de nombreuses années passées en Europe.

Boulevard Lumumba. Routes des

- Un raccourci peut-être ? Le chemin le plus rapide pour se rendre à Butembo sans se faire rançonner par l’un ou l’autre des « groupes armés » qui insécurisent la région du Nord-Kivu?

Poids lourds. Traversée des rails à gué (à gauche). A la hauteur de la Quatorzième Rue. Parcelle-entrepôt de la Monuc

- Les Nations-Unies doivent-elles se protéger de la population kinoise derrière des miradors (équipés de projecteurs et de mitrailleuses ?) et de très hauts murs surmontés de doubles rouleaux de fils de fer barbelés ?

Place commerciale de Limete. Croisement Université. Yolo-Nord (à gauche). Croisement Kimwenza. Avenue Bongolo. Cité

- Eh là, une « terrasse », très animée ! Il faudra que je passe voir, un de ces jours !

Kauka (à droite). Université Simon Kimbangu (à droite). Rivière Kalamu. Hôtel-bateau (à droite). Quartier Kimbangu (à gauche). Avenue Kasavubu. Croisement Gambela. Croisement Assosa. Ngiri-Ngiri. Croisement Birmanie. Atelier de Chéri Samba. Croisement Saïo. UPAK (à gauche). Rond-pont avenue Kasa-Vubu et avenue de la Libération (ex-24 Novembre). Bandalungwa

- Rendez-vous au Bloc de Bandal, mais pas avant le 6 décembre ! m’avait fixé, par e-mail, Bibish Mumbu…

- J’y suis, j’y suis presque, j’y arrive. Deux semaines à l’avance. J’aurai tout le temps d’effectuer des repérages (m’enquérir du prix de la bière et des brochettes et, prostate oblige, localiser les toilettes) pour qu’on ne m’y prenne pas pour un plouc ardennais ! Ou pire encore, semble-t-il, pour un « Monuc » !

Kinshasa. Des avenues et des rues très

- Comme dans certains quartiers de Bruxelles !

dégradées, de très grands

- Comme à l’entrée, à la sortie et tout autour de Paris !

embouteillages du matin et du soir et

- Et même des embouteillages de piétons le long des grands axes et près des « parkings », terminus de taxibus ! Sur le boulevard Lumumba que les « travailleurs » empruntent tous les matins, dès l’aube, pour partir à l’assaut dans la ville… Dans toutes les rues qui permettent d’accéder au marché central (encombrées, par ailleurs, de pousse-pousse, de vélos, de camions et de chariots)… A l’arrêt Pascal, au Rond-Point Ngaba, à Kintambo-Magasin, devant La Crèche et sur Ikelemba, à l’arrêt UPN, sur Kato! Un peu partout ! Embouteillages ya batu na ya mituka !

de fréquents délestages et

- Il suffit de s’y habituer ! Appliquer quelques règles élémentaires de survie…

- Lesquelles, par exemple, douchka ?

- Si vous avez oublié de recharger votre portable, veillez (ça va de soi !) à économiser vos unités ! Faites l’amour à la lampe à pétrole ou pendant la journée ! N’ouvrez pas inutilement la porte du congélateur, les cadavres qui s’y trouvent enfermés pourraient prendre un sacré coup de chaleur !

aussi

- Même chez les gens « bien », petite chérie, il y a une « catine » à côté de la cuvette des chiottes !

de très sérieux problèmes d’alimentation en eau. Les infrastructures de base laissent beaucoup à désirer…

Kinshasa, j’y entre tout doucement. Comme on entre dans la mer. Ou dans une piscine… quand il y a de l’eau et qu’elle est bien remplie. Je commence par la petite

- Trop prudemment, douchka ?

- Avec respect, petite chérie ! Losako ! Et, peut-être, une certaine forme de timidité… ou d’humilité !

profondeur, là où j’ai pied. Mise en place progressive avant l’arrivée de la marée et des mamiwatas. Je ne plonge pas directement dans le lac ou la rivière lorsque je n’en connais pas la profondeur exacte… Et je vérifie d’abord si des crocodiles affamés (des esprits nuisibles, jaloux et malfaisants qui se seraient transformés en crocodiles et essayeraient de se faire passer pour des grumes inoffensives, amputées de tous leurs membres, flottant benoîtement à la surface de l’eau) n’y sont pas à l’affût…

Le Kinshasa du nouvel âge est aussi une ville d’arrivages.

ArRivages de toutes sortes de gens et de produits, douteux ou périmés, qui se jettent ou se déversent sur le pays et dont le Congo devrait, tôt ou tard, pouvoir se débarrasser.

Arrivage d’hommes d’affaires opportunistes et suborneurs, d’humanitaires voyeurs et donneurs de leçons, de pillards racistes et flagorneurs, de « développeurs » professionnels, cyniques et désinvoltes, qui sont

- « Le Congo, mon pays » ?

- Jamais !

ici comme ils pourraient être partout ailleurs

- Attention, chiens méchants ! Danger de mort entre 21h et 6h30 du matin, clôture électrique !

dans le monde et ne partagent pas le destin d’un pays dont ils se nourrissent épaissement…

Arrivage de « produits de première nécessité » : cartons de mpiodis, cartons de poulets surgelés en provenance de Belgique (de marque « Wilki », évidemment !) et même

- Du poulet halal, petite chérie ! Garanti ! Supervision of the Islamic Center in Brazil for the followers of Ahlul Bait (A.S.) – Sao Paulo – Eminence Sheik Taleb Hussein Al-Khazrafi

du Brésil ou encore

- De Chine aussi, douchka ?

- Je ne sais pas… Mais si tel n’est pas encore le cas, ça ne saurait tarder !

d’ailleurs…

Arrivage de cartons de poisson

- Product of Norway !

séché, « Makayabu ya goût » et

- Product of Belgium !

d’un retraité de l’ « Administration Générale de la Coopération au Développement », en sigle AGCD, et membre du Service juridique et directeur de la formation de la Régie des Bâtiments, venu rendre visite à sa fille Nadine, alias « Mère Courage », présidente

- Président sectionnaire, quoi !

de la section kinoise de la branche congolaise de la famille, en sigle BCF ou Bracofa, et à trois de ses kokos... Et retrouver tant de vieux amis…

- C’est tout, douchka ?

- Ecrire aussi, à Kinshasa, petite chérie… Et, ce faisant, tenter de faire honneur à Huit Mulongo Kalonda Ba Mpeta qui m’avait demandé, en octobre de cette année, à la Maison du Livre (il faut tout de même dire que j’y étais encadré de très près par deux cautions de poids : In Koli Jean Bofane, alias « Fossoyeur Jones » et la vedette du jour, Bibish Mumbu), si je me définissais comme un écrivain congolais d’origine belge ou comme un écrivain belge d’inspiration congolaise… Je lui avais répondu que je préférais être un écrivain congolais d’origine belge… Encore fallait-il, avais-je ajouté, que je sois « adoubé »… Et Jean-Claude Kangomba, Mulongo Kalonda et Yoka Lye Mudaba de s’écrier en choeur « Adoubé ! Adoubé ! Adoubé !». Mais André Yoka, goguenard comme toujours, de reprendre aussitôt la parole : « Adoubé, d’accord, mais qu’est-ce que ça veut dire exactement, qu’est-ce que ça implique, à quoi le Congo s’engage-t-il ? »

Mon propre arrivage, quoi !

Et, à peine arrivé, je suis confronté

- Je ne retrouve plus les cure-dents (en « plume d’oie » en plastique) que j’avais soigneusement placé dans mes bagages, petite chérie… pour pouvoir enlever les débris d’os de ntaba coincés entre mes molaires… sans me péter les plombages, « agglomérés » et autres « reconstitutions » ! Que vais-je devenir ?

à un problème grave…

Je ne m’éclaire pas au café, je ne griffonne pas à la bougie.

Mais dès qu’il y a du courant, quelle que soit l’heure, serait-il une heure vingt-deux minutes et trente-trois secondes du matin, je me réveille, je me lève, je me pose le cul sur une chaise et j’allume mon PC. Et je

- Je prends de l’avance, petite chérie, sait-on jamais. Ofele ! Le projet de Maliq n’aboutira sans doute jamais…

commence

- Et quand il y a délestage, douchka ?

- C’est le moment de sortir, d’aller voir ailleurs, d’aller « chercher des histoires » aux gens ou chez les gens, de retrouver de vieux copains et de boire de la Skol ou de la Primus, à une « terrasse », non ?

- Une terrasse ?

- Ben oui, on ne dit plus tellement nganda maintenant, on dit plutôt terrasse !

- Et les nganda, alors ?

- Ça existe toujours et ça se dit encore… Mais ça désigne plutôt, me dit-on, un local couvert…ou même, quelquefois, une fumerie de chanvre (on fume en groupe, avec les militaires et les policiers, on fait circuler la tige), un repaire d’adeptes du diamba…

à écrire sur (en attendant d’y être) Butembo et

- Qu’est-ce que les gens boivent là-bas, douchka ?

- Est-ce que ngai nayebi ? Internet est « en panne » ! Même pas moyen de faire un Google sur Butembo !

quand je me verse du café dans le cendrier, c’est qu’il est temps de me recoucher…

J’ai déjà écrit un peu partout

à Nassogne, dans la province du Luxembourg, entre Marche-en-Famenne et Saint-Hubert, pas loin de Marloie, de Jemelle et de Rochefort, en Belgique

à La Plante, à Euskirchen, à Rösrath, à Saint-Josse, à Tanger, à Leuven, à Biskra, à Mbanza Mboma, à Yolo-Nord, au quartier artisanal de la commune (ou la « zone », comme on disait à l’époque) de Kasa-Vubu, à la Gombe, à Belize, à Itaparica, à La Villette, à Moscou, à Calcutta, à Pezens, à Lagos Island, à Manhattan, à Bè Klikamé et à Aflao-Gakli, à San Francisco, à Ixelles, à Binza-Ma Campagne, à L’Eliana et même à Ibiza

à Nassogne, dans la préfecture de l’Avé, canton de Badja, sur la route de Kpalime, peu avant Keve et Assanhoun, au Togo…

Et voilà, à présent, qu’on me propose d’écrire à Butembo. Dans un ou deux ans. En 2009…

On m’envoie toujours écrire ailleurs. Ici, je dérange trop, peut-être ? Je fais sans doute chier

- J’aurais une trop sale bouche, petite chérie ? Tant pis pour vous, personne ne me la lavera !

- Moi, oui ! Avec du savon de Marseille et de l’eau de Javel ! Et du Baygon et de l’huile de ricin !

- Ou je la ferme ou je déparle, qu’est-ce que tu préfères, petite chérie ?

- Tais-toi, douchka ! C’est dans notre intérêt à tous !

tout le monde ?

Je me demande si

- Dans un ou deux ans, j’aurai soixante-dix ans, petite chérie !

- Septante, douchka ! Soixante-dix, c’est du mobutisme ! Les temps ont changé, douchka. Il faudra bien que tu t’y habitues !

je serai encore

- Athusser me guette !

- Alzheimer, Ducon !

à la hauteur ou

- Tiendrai-je le coup ? Mon pancréas, mes intestins, ma prostate et mes reins auront-ils la patience d’attendre ?

- Et le cœur, ça va ?

- Ça roule !

- Et le foie ?

- Aussi… Mais, dis-moi, petite chérie de quoi meurt-on le mieux quand on a trop de tension ?

- D’hypocondrie et de paranoïa, Ducon !

toujours en vie, dans un ou deux ans.

C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de commencer le boulot maintenant. Et de prendre ainsi un peu d’avance. Et, à supposer que le projet de Maliq ne se concrétise pas, j’aurai quand même écrit

- Et comment tu vas l’intituler ton truc, « Kinshasa » ?

un texte sur Butembo, non ? Sans même y avoir mis les pieds, eh !

Six heures du matin. Muka

- Comment ça se passe à Kin, douchka ?

- Et à Bruxelles, petite chérie, les Flamands et les Wallons, ça se chamaille toujours ? Ça continue de s’envoyer des vannes ? Il n’y a toujours pas de gouvernement ?

me téléphone. Elle revient d’un matanga. Le frère du mari de Mamène, mort à Bruxelles, chez Lisette Fodderie, à la maison

- Il y a des gens qui naissent et meurent à l’hôpital ou dans un élevage de poulets aux hormones ! Les vraies personnes naissent et meurent à la maison, petite chérie ! A l’ancienne !

- Et alors, douchka ?

- Prépare la chambre !

- Tu t’imagines sans doute que je vais dormir à côté d’un mort ? Installe-toi dans le bureau !

au rez-de-chaussée, en début de semaine. Beaucoup de gens, beaucoup, beaucoup, beaucoup de gens. A Inzia. Muka, bien sûr, a pas mal picolé. Avec Monique Fodderie, avec Rachou Mpanu-Mpanu, avec tout le monde et plein d’autres personnes encore. Elle me téléphone, juste avant d’aller se coucher et de monter dans notre chambre, dire bonjour à Cannabis et


Cannabis, c’est le rat

- Ce n’est pas un rat, Papa Didier, c’est un octodon, une espèce d’écureuil !

- Sans doute, Sukina… mais avec tout de même la queue d’un rat, non ?

de Sukina… qui nous l’a laissé en pension, à Ixelles

- Et nous n’arrivons à le placer nulle part ! On ne peut même plus partir en vacances ensemble ! Il terrorise le chaton de Lianja !

- Ouais, on va croire ça ! raille Nadine. Avouez plutôt que vous ne voulez pas vous en séparer !

parce que, nous a prétendu sa mère, les compagnies aériennes refusaient d’embarquer des rats… qui pourraient s’échapper de leur cage et… grignoter les câbles des commandes de l’avion…


après, me dit-elle, s’être disputée avec Djuna qui, évidemment, travaillait encore sur son ordinateur et ne dormait toujours pas

- Qu’attends-tu pour étudier, Djuna, te trouver un vrai boulot, avoir un projet, faire quelque chose ?

- Maman, tu as trop bu ! Excuse-moi de ne pas te répondre mais tu sens trop la bière !

Muka, alias « Tantine Betena », alias « Motema Magique » boit trop ?


Muka, lorsque je l’ai rencontrée, ne tenait pas ses petits seins en laisse et les promenait en toute liberté sous un t-shirt échancré. Elle était la plus jolie fille jamais découverte depuis le XIXe siècle. Et c’est moi qu’elle a accepté (alors que tous les clébards

- Petite, j’ai soif !

de la ville auraient tant voulu lui renifler la truffe et le derrière) m’épouser, moi qui ne savais même pas danser !

Muka, alias « Tantine Betena », alias « Motema Magique », était

- Moi, je crois au grand amour!

et elle est toujours très

- Pas au petit amour !

exigeante. Mais, à l’époque, elle avait déjà

- Les alcooliques sont tous de foutus menteurs ! Tant que je ne mens pas, je ne suis pas une alcoolique ! tente-t-elle de me rassurer…

une sacrée descente !


Muka déprime (sûrement) ? Elle est (probablement) malheureuse ? Après autant d’années de vie commune, de quoi

- Mais non, Douchka, si j’ai beaucoup bu c’est parce que j’avais très soif ! Et puis de toute manière, tu sais bien que la boisson ne me déprime pas et qu’elle me met plutôt de bonne humeur !

suis-je donc (certainement) coupable ?

Muka devrait envisager (il sera bientôt temps) une reconversion professionnelle, sociale, matrimoniale ?

A Cape Town, pourquoi pas ? Y acquérir

- A Cape Town, une ville de Bulankos ? Un de leurs derniers bastions, douchka ! Ça va péter là-bas, tôt ou tard, non ?

- Ben oui ! Faudra bien, petite chérie ! A moins que l’élection de Jacob Zuma à la présidence de l’ANC ne conduise à un véritable changement ! Mais… Et quoique…

une « expertise », avant de revenir au Congo, s’y établir, y retrouver les copines et les copains et les enfants et les kokos, définitivement.