mardi 20 avril 2010

Ecrire à Butembo - Chapitre 7 - Repérage - Tika ngai na loba eeeh ! Tika ngai na panza oooh !

Didier de Lannoy
Butembo
sous-titré On m’envoie écrire ailleurs ! Ici, je dérange trop ? compte-rendu en musique d’un voyage dans le temps, à Kinshasa, 23 novembre 2007 - 11 janvier 2008

Extraits

Repérage

Tika ngai na loba eeeh ! Tika ngai na panza oooh !


- Toke na Bloc !

On tourne à droite (venant du pont Makelele). On passe devant le Bloc. Lentement. Beaucoup de monde. Pas de

- Délestage, douchka ?

- Black out total, petite chérie !

lumière. Pas de place non plus pour garer la bagnole. On hésite, on hésite et… finalement, après avoir rôdé du côté de la maison communale de Bandal… on se retrouve au

Mate

« salle de fête » du quartier Kimbondo. Excellentes sélection de disques mais les baffles couvrent difficilement le bruit

- Une énorme machine, petite chérie ! Bruyante comme un moteur de camion militaire grimpant les collines du Masisi !

du groupe électrogène. Et ça rajoute un sacré instrument à l’orchestre.

Peu de clients.

Peu de lumière aussi. Mais quelques

- Evidemment, douchka ! Tu pouvais t’y attendre, non ?

allumeuses et, notamment

- Vêtues d’une manière indécente en vue d’ « exciter la susceptibilité » des hommes, douchka ? S’élargissant les yeux au crayon noir ? Portant une jupe fendue, une mini-jupe ou une robe courte, collante et décolletée ? Ayant enfilé une mini-brassière qui couvre à peine le haut de leur poitrine et retient difficilement leurs seins

- Meuuuunon, petite chérie !

Pétronille, en jogging, que NCJ me dit avoir déjà rencontrée (avant, ailleurs, dans d’autres circonstances, à d’autres occasions, etc). Et aussi Citronnelle, en jeans moulants, bien tournée, bien balancée, bien baraquée, qui s’impose

- Je me demande quand même, petite chérie, si, celle-là, ce n’est pas NCJ, mon neveu, qui me l’a « envoyée » (Pour mon Papaaa !)…


Je ricane comme l’infâme que je suis.

- Ouais, je vois ça d’ici, cadeau payant, quoi ! Et je devrai sans doute aussi verser une commission à mon « fils »… pour bons et loyaux services ? Lui financer son « coup », peut-être ?

- Parano, va !

- Pas si sûr que ça, petite chérie, pas si sûr…


Et donc, petite chérie, je me demande ce n’est pas lui qu’il l’a invitée à s’asseoir avec nous…

à notre table et qui toute de suite se déclare et qui

- Elle « surjoue » (comme dirait Lianja) !

- Puis-je vous faire observer, Madame, que vous renversez les rôles et que si l’on se réfère au prescrit de toutes les coutumes et toutes les religions, c’est au mâle qu’il revient normalement de sélectionner ses partenaires sexuels… et de


Muka, alias « Tantine Betena », alias « Motema Magique », s’énerve.

- Arrête Douchka ! Tu es un abominable macho ! Si j’avais su ça avant (et également que tu pétais au lit et que tu mangeais aussi mal à table), je n’aurais jamais accepté de t’épouser ! Tu as bien caché ton jeu !

- C’était pour rire, petite chérie ! J’rigole (comme dirait Lianja)…


chasser les femelles solitaires, enragées, divagantes, aguichantes, folâtres et dissipées qui cherchent à se faire féconder (pour mieux piéger le mâle sans défense) et le harcèlent en vue d’une copulation, à des fins (dont on peut raisonnablement supposer qu’elles sont d’ordre mercantile et/ou reproductif), non sincèrement et loyalement discutées entre partenaires consentants… dans le cadre d’un union à titre précaire qui ne sera probablement jamais portée à la connaissance des familles… ni des autorités coutumières, civiles, militaires, judiciaires et ecclésiastiques… ni de la société civile, de la Monuc ou de la Communauté internationale…

m’aiiiiiiime et

m’aimeuuuuuu et qui s’étonne encore

- Je t’aime et tu ne m’aimes pas !

- Comment tu t’appelles ?

- Citronnelle !

- Mais oui, Citronnelle, bien sûr que je t’aime…

- Mais moi, je t’aime trop et toi, tu ne m’aimes pas assez, pourquoi ?

- Laisse tomber, Citronnelle, je suis marié, j’ai cinq enfants et déjà sept kokos ! Et mon épouse s’appelle Ana, alias « Muka », alias « Tantine Betena », alias « Motema Magique » !

- Oui, mais elle est encore à Bruxelles et, toi et moi, ce soir, nous sommes à Kinshasa…

- Mais voyons, Princesse, ne vois-tu pas que je ne suis plus, à présent, qu’un vieux yoghourt dont la date de péremption est expirée depuis longtemps ! Nakomi mubange, Princesse ! Je ne suis pas un jeune et joli chasseur…

Et qui continue de s’étonner.

- Pourquoi tu ne danses pas avec moi, Chéri na nga ? Essaie ! Okoningana, tu vas bouger ! Kipe ya yo, Lidusu, Nzoto na nzoto, Sens interdit, Danger de mort… Que demande le peuple ? C’est quoi ton problème ?

- Nayebi kobina te !

- Tu ne danses pas et tu ne parles pas non plus ! Pourquoi tu n’es pas assez bavard, Chéri na nga, pourquoi tu ne me dis presque rien ? Tika ngai naloba eeeh ! Tika ngai napanza oooh ! Eloko eleki diamant, yango oyo !

- Nalobaka lingala te !


Ma fille Nadine me mordille gentiment les mollets.

- Comment ça, papa, tu as vécu près de 27 ans au Congo et tu ne parles même pas le lingala ?

- Ben non !

Tu ressembles à un de ces vieux Sénégalais qui ont passé toute leur vie à Paris et ne parlent pas le français… Mais qui ont quand même un certain nombre d’amis français… qui, eux, sans doute, parlent le wolof ?

- Ben oui ! Faut croire !

Affectueusement kaka ?


Je n’aime pas (du tout) les princesses. Je ne danse pas (du tout) avec elles… mais je bois, je fume, je bois et je leur offre quand même à boire. Et je leur pose aussi quelques

- Par politesse, correction, civilité, petite chérie ! Pour la bonne forme, quoi ! Faire preuve d’urbanité, respecter les convenances et entretenir la conversation, quoi ! On m’a appris ça quand j’étais jeune !

questions et j’apprends ainsi que Citronnelle

- Elle dit ça pour te mettre en confiance, te rassurer, douchka !

a, elle-même, vingt-quatre ans (et

- Ça tu l’as découvert tout seul, douchka ! Elle n’a certainement pas eu besoin de te le dire !

un ventre bien coussiné et un cul bien rebondi) et

- Dois-je porter à sa connaissance, par simple courtoisie, qu’elle ne les fait vraiment pas, petite chérie ?

deux lardons, dont un grand garçon de treize ans, déjà très actif et qui pourrait bientôt la rendre, elle aussi, grand-mère et que rien, dès lors, ne s’oppose à notre union et

- Ainsi donc, la jeune et jolie princesse ne m’a pas attendu ! Et Citronnelle se révèle, finalement, n’être qu’une jeune et jolie femme d’occasion une sainte vierge de seconde main ! J’ai été odieusement abusé, petite chérie ! Je suis arrivé trop tard ! Elle a déjà été aimée ! Dès l’âge de dix ou onze ans, m’a-t-elle dit ! Elle a fait des « makambo ya salité » avec un infâme griffon à trois têtes, pasteur, sous-officier de la police spéciale de roulage et, en même temps mais pas aux mêmes heures, enseignant pédophile à l’école primaire Saint Ngampani, sur l’avenue Kingasani II, au quartier Kimbanseke, dans la commune de Kizito ? a-t-elle tenu à préciser…

qu’elle habite à présent Bandalungwa mais qu’elle est quand même restée

- C’est bien là que je suis née, chéri na nga ! C’est là que j’ai grandi !

une « Mwana ya Yolo »… Mais elle cherche, de toute évidence à m’embrouiller : depuis quand les « enfants de Kalamu » fréquentent-ils une école primaire de la périphérie ? Vigilance !

Plus d’argent. Plus de budget. Pas de crédit. On rentre à la maison. On fait semblant d’être appelé sur le portable. On laisse tomber

- Un coup de téléphone du bureau ! Un travail urgent à terminer ! Il faut qu’on y aille tout de suite !

nos bièreuses de la nuit (dont, après tout, nous n’avons qu’entrevu les profils et frôlé du regard les rondeurs) et on leur promet

- Quand ça ?

- Demain soir !

- Où ça ?

- A Butembo !

- Wapi ?

- J’rigole ! Au Bloc de Bandal, je voulais dire !

- A quelle heure ?

- Entre 17 heures et 18 heures ! Quand il fait encore jour !

de les reconnaître à la lumière du jour. On ment, bien sûr. Mais nous croit-on vraiment ? Et, de toute manière, ces demoiselles n’ont sans doute rien à m’apprendre sur Butembo ?

Un mot quand même, avant de partir, sur les pissotières du Mate. Elles sont

- Fabuleuses ! Plus de trente mecs (tous les machos de deux minibus remplis de séminaristes, de matous, d’étalons, de boucs, de béliers ou de verrats qui se retiennent d’uriner depuis l’angélus du matin) pourraient y vider leur vessie ! Tous en même temps ! Ensemble ! Alignés sagement, face au mur de porcelaine, tête baissée, concentrés et silencieux ! Et puis se secouant le tiche, se réajustant, se signant, se remettant à bavarder et à plaisanter !

- Deux minibus de séminaristes en train de pisser en chœur dans un dancing de Bandalungwa ? Des étudiants jésuites de la faculté philosophique saint Pierre Canisius ayant perdu le chemin de Kimwenza, suite à la rupture de la route de Kindele ? C’est quoi ce nouveau fantasme, douchka, tu m’inquiètes ? Mais, dis-moi quand même, les toilettes pour femmes, comment ça se présente au Mate ?

- Je n’en sais rien, petite chérie ! Je n’y ai suivi personne !

propres et fabuleuses…

La prochaine fois, on ira boire, fumer et pisser à l’hôtel Salama. On y trouvera peut-être des traces de Fiston Nasser Mwanza, alias « Finamwa » ?

Et puis je me rappelle que, dans le temps, on servait à manger

- Sur commande kaka !

des bisamunyu à l’hôtel Salama (la patronne les enfermait à clef, dans une remise, comme un bien très précieux, auquel même le personnel de cuisine ne pouvait pas accéder sans son autorisation expresse).

Sans doute, avec un peu de chance, pourrai-je y rencontrer des gens de Butembo ? Ne disait-on pas, avant, que l’hôtel Salama était un endroit où tous les Kivutiens aimaient se retrouver ?