mardi 20 avril 2010

Ecrire à Butembo - Chapitre 20 - Journées d’audiences, je reçois - Visa bomengo !

Didier de Lannoy
Butembo !
sous-titré On m’envoie écrire ailleurs ! Ici, je dérange trop ? compte-rendu en musique d’un voyage dans le temps, à Kinshasa, 23 novembre 2007 - 11 janvier 2008
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Extraits

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Journées d’audiences, je reçois

Visa bomengo !


Kokoko ! C’est le bonheur qui frappe à la porte !

C’est Nkoy ! Venu m’apporter des nouvelles de Mayivenga, de Kandolo Mbombo, de sa famille…

Et m’amenant

- Ça vient de ton jardin ?

- Non, du marché !

des safus, des petites aubergines, des concombres, un ananas, des arachides…

Veuf depuis peu, ayant eu huit enfants avec son épouse, Nkoy envisage, vers 2009

- Si j’en ai les moyens !

d’engager une autre femme…

Kokoko !

C’est « Qui Saura »… Enfin ! Et

- C’est la première fois que je vois mon aîné, me dit-il, et que lui-même me voit, moi, son père… depuis quinze ans, tu te rends compte ! Depuis que j’ai quitté le Congo (qui s’appelait encore le Zaïre, à l’époque) et que je me suis « exilé » en Angola ! C’était en 1992…

son fils Didiana !

« Qui Saura » était parti faire fortune (découvrir le monde ou chercher l’aventure) à Luanda et… est revenu se faire soigner à Kinshasa. Comme un repenti. Comme un pénitent. Pas loin du quartier où il a grandi. Presque à la maison… Un problème de cataracte

- A Luanda, l’hôpital coûte trop cher ! J’ai péféré me faire opérer à Limete, à l’hôpital Saint-Joseph !

à l’œil droit. Il habite, à présent, le camp Kauka, avenue de l’Hôpital, chez les parents de son ancienne copine, Linda

- Elle ne t’a jamais remplacé ? Elle ne s’est jamais mariée ?

- Elle prie !

la mère de son premier enfant.

Nkoy m’a amené des fruits et des légumes… « Qui Saura », pour sa part, me montre son carnet de mariage (il a

- Petit poussin ?

deux autres enfants avec une Angolaise avec qui ou chez qui il vit à Luanda… et qui en avait déjà cinq ou sept, je ne sais plus), sa carte d’électeur et ses factures d’hôpital et l’ordonnance

- Didiana est malade ?

- Malaria et typhoïde, comme tout le monde !

- Je vais voir ce que je peux faire… Mais ce ne sera pas grand-chose… Je suis à présent retraité, sous-pensionné et désargenté, presqu’un « cas social »… Et, ici, je vis aux crochets de ma fille !

délivrée à son fils…

D’après « Qui Saura », la typhoïde se serait répandue dans tout Kinshasa à cause, notamment, de la revente en pleine rue

- Eau pire ! Eau pire !…

au prix de cinquante francs congolais, de sachets d’« eau pure » (à entailler d’un coup de dent) dont les emballages ne sont pas toujours stérilisés …

« Qui Saura », un vieux copain, un bon fumeur aussi, beaucoup

- Et Maître Lopez, qu’est-il devenu ?

- Lui aussi est à Luanda ! Il se débrouille comme il peut ! Il essaie de se démerder dans le commerce des voitures, les « occasions d’Europe », mais ce n’est pas toujours facile !

d’aventures partagées, beaucoup de nuits entières passés ensemble, avec « Tantine Betena » et « Motema Magique », chez Tonton Mbaki, au Self Control et partout ailleurs

- Fano est mort et le Self est devenu un lieu de culte, petite chérie ! La parcelle du Self a été loué par Maître Taureau à l’église « Armée de la Victoire » du pasteur Kutino, celui qui a été arrêté au stade… et qui réside actuellement dans un des pavillons « militaires » du Centre Pénitentiaire et de Rééducation de Kinshasa, CPRK (ex Prison centrale de Makala) !

- Et dont la vache a été poignardée lors de son arrestation, douchka ?

- Lui-même, petite chérie ! L’Archibishop ! Ses fidèles venaient de lui cadonner une vache en offrande et, au moment même de l’interpellation de « Papa Archi », sa vache-cadeau a été méchamment chourinée et saignée par des « éléments » ! En public ! Devant la foule des supporters et des cotisants ! La vache-cadeau a été ignominieusement exécutée par des soudards, fumeurs de diamba et buveurs de lotoko alors que son « destin sacré » était d’être immolée, dans les bonnes règles, par des sacrificateurs agréés, sniffeurs de myrrhe et d’encens, buveurs de vin béni !

- Mawa vraiment ! Il n’y a plus de respect, douchka !


« Qui Saura » me donne à lire quelques numéros de « Ne Congo News », le « Journal du Bas-Congo », imprimé par Biaka Press (34e Rue à Kinshasa/Kimbangu) et faisant partie du groupe de presse « Disco Magazine » mais dont la direction générale se trouve à Mbanza-Ngungu et…

surtout, surtout, surtout…

un des derniers numéros (le « spécial n°26 ») de sa revue à lui, « Disco Flash » ! qu’il publie à Luanda, en français, à l’intention de toute la communauté des Congolais, creuseurs ou

- Ceux qui attendent au bord de la rivière, sous des parasols … tandis que les plongeurs remontent à la surface avec des sacs de graviers à tamiser…

coxeurs, commissionnaires ou acheteurs … mais tous mélomanes et sapeurs, qui ont raté l’avion pour Mpoto

- Les « Ngulu » ratés, qui n’ont pas pu trouver les quelques quatre mille dollars qui leur auraient permis d’intégrer l’une ou l’autre des filières d’émigration clandestine mises sur pied par des responsables d’orchestres de musique congolaise moderne, de fédérations sportives et d’équipes de football, d’églises du charivari ou d’ONG de défense des droits de l’homme ou « de développement »…

et par certains personnels d’ambassades étrangères dûment installées à Kinshasa) et se sont reconvertis dans le secteur du diamant, résident en Angola et quelquefois

- C’est plus commode !

ont opté pour la nationalité angolaise.

En page 3, je découvre la liste des correspondants du magazine à l’étranger. Ce sont, pour Bruxelles et toute la Belgique : Didier de Lannoy, Ana Lanzas, le docteur Peter Persyn, Colette « Break » et même ce « môdit Frinçais » (comme dirait une voisine, Canadienne évidemment)

- Tu n’aurais pas son adresse, son e-mail, son numéro de téléphone ?

de Daniel Derrien…

La vedette incontestable du « spécial numéro 26 » de Disco Flash est Didy-Kinuani (apparaissant en page de couverture mais aussi en pages 4, 8 et 9 et en dernière page), alias D.K., un « Fils du Bandundu », l’« Homme sans concurrent », le « Maître de tous les diamantaires »

- L’or, l’argent et le diamant appartiennent à Dieu mais le prix, c’est Didy-Kinuani, l’Infinitif !

de Cafunfo, le « Meilleur acheteur d’Afrique », le « Boss des Boss », le « Mega Boss », le « Fils de Jésus », l’ « Ami des Super Puissants Américains », l’ « Homme du moment », l’ « Humaniste dans le vrai sens du mot » qui a « le sens d’aider des personnes délaissées en vue de leur rendre la vraie joie de vivre », le bienfaiteur des malades, des éprouvés et des creuseurs

- Soki yo te, nani mosusu ?

l’homme « le plus immortalisé » et « le plus chanté », l’ « Esprit du 3e millénaire »… accompagné d’Amida, sa jeune et jolie princesse, à la peau jaune, laquée, aux longs cheveux postiches, aux hanches confortables…

Amida, la boudeuse, la lascive, l’alanguie ? … la sauvage, la cruelle, l’ombrageuse ? … la distante, l’orgueilleuse, la dédaigneuse ? … se pinçant les lèvres et ne montrant pas les dents…

Amida, « habillée nue » dans une robe fourreau sans manches (qui, sur les photos, semble tissée de fibres de métal jaune), fendue sur le côté et largement décolletée…

Amida, dont les seins joufflus, les cuisses fermes, les épaules consistantes et toutes les autres chairs visibles et onctueuses… brillent, incendient, brasillent …

Amida, la « Première conseillère » de Didy-Kinuani, la « Mère des mères » … et qui vient d’ouvrir un magasin d’habillement en ville...

- Dans quelle ville, douchka ? A Luanda… Ne serait-ce pas, plutôt, à Kinshasa, du côté du Grand Hôtel ou du rond-point Forescom ?

Amida, « Mwasi ya Batu » ? l’ancienne compagne de quelqu’un d’autre, me glisse-t-on dans l’oreille, un musicien célèbre ?

Amida, une femme en or, en argent et en diamant… Une pépite que son mari, acheteur de grosses pierres, exhibe… et que

- J’affabule !

convoitent aussi, secrètement, chacun de ses jeunes et fringants collaborateurs : Petillar Wassenga, le conseiller aux acquisitions, Savanet « qui fait la loi » et, surtout

- Je continue d’affabuler !

- Disons plutôt que tu fantasmes, douchka ! Comme d’habitude…

Raoul Itono le Tendancieux, le chargé des relations publiques, « un vrai sapeur », vêtu en « masatomo » !

- Et les creuseurs aussi ?

- Jamais ! Tu penses bien qu’ils ne se le permettraient pas, petite chérie ! D’ailleurs, ils n’habitent pas (et Amida non plus, évidemment !) à Cafunfo même, ils sont au front, bien sûr ! Ils luttent !

Cafunfo, ses comptoirs et ses activités annexes.

- Mais où ça se trouve encore Cafunfo, douchka ?

- En Angola, je ne t’apprends rien ! Pas loin de la frontière de la RDC ! A une heure et 45 minutes de Luanda, en avion… On peut aussi s’y rendre en camion mais ça prend, quand même, beaucoup plus de temps… Tu peux toujours chercher dans le dictionnaire, petite chérie, tu ne trouveras sans doute pas !

Le Comptoir Apocalypse 22 : « Source intarissable, expérience ya koluka sans vous mentir ».

Le Comptoir Massamba : « Le meilleur acheteur silencieux ».

Le Comptoir Kande : « Visitez Boss Kande, 1er service, c’est l’accueil ».

La Bijouterie Mobutu.

Le comptoir Picko.

Le Garage Nikki : « Mercedes, BMW, Audi ».

Le Vrai Ingila Chelsea : « Affairé agréé ».

Bernardo Bankie : « Le vrai Monsieur ».

La boutique Alberto Ndoma.

La Maison Ibrahim, « Meilleur styliste », autrement dit « Cour Suprême de Luanda ».

Le garage Gerry Gomez.

Le « Centro Medico Timote » : « 24h/24h, non stop, docteurs Carlos, Cande, Cabilla »

Le Boss Garry : « L’homme qui a enrichi beaucoup de gens ».

Chez Mère Respect Ikwa Igwe, « Mokonzi ya Mama ya B° Cassenda »: « Kota bayeba yo » 24/24h ; « Eloko nini okoluka (Nzombo to Kamba Nyoka) ; Masanga ya malili ; Makayabu ya kitoko ».

Le Comptoir Boss Courageux à Muxinda : « Moto na Nzambe ».

Le Comptoir Andy Bussness Ascorp dirigé par Andy-Mputu, alias « Le Fondé », alias « Paga Bem » (Paie Bien) , alias « Manda-Chuva » (Qui envoie la pluie), alias « Aigle », alias « Calibre 12 » et

surtout, surtout, surtout

le Groupe Dikin de

Didy Kinuani !

Et lorsque Didy Kinuani sort de son comptoir et décide d’user les semelles de ses souliers et de se faire photographier en train d’effectuer un petit tour, en jeans, dans la cité de Cafunfo… précédé, accompagné et suivi par

- Ses « Petits » !

des cognes et des larbins… et par une foule de curieux, d’admirateurs, de flatteurs et de quémandeurs… tout de suite c’est l’embouteillage !

Didy Kinuani en promenade à pied, il « bouge l’avenue » !

Et on doit même, parfois, faire appel à la police « pour évacuer les gens » !


On essayera de reprendre les choses là où on les avait laissées, dans les ngandas et les concerts

- Pas demain, ni après-demain, j’ai des choses à faire ! A partir de lundi ! Je te téléphone et tu me fais d’abord découvrir les terrasses du Camp Kauka (j’en ai repéré une qui m’avait l’air pas mal, le soir de mon arrivée, au croisement Kimwenza Bongolo) et de Yolo ! Quant à Evoloko Joker, on verra ça plus tard, à La Crèche, dimanche prochain, non ?

de Langa-Langa Stars, de Zaïko, de Viva et de Luambo Makiadi où nous nous retrouvions avant. Ce ne sera peut-être pas facile. Avant je vivais, maintenant j’écris. Avant j’avais du fric, maintenant je suis fauché. Avant j’étais (presque) jeune, maintenant je suis (presque) vieux.

Et puis, surtout, je n’ai plus l’habitude de sortir sans Muka.

- Muka ?

- Muka, c’est Ana, évidemment ! Alias « Tantine Betena », alias « Motema Magique » ! Je n’ai pas changé de femme, tu sais …

Mais, rien n’empêche, « Qui Saura » ne pourra pas, comme NCJ, se retenir de me fourrer quelqu’un dans les pattes… Soki Pétrolette, en jogging

- Elle est étroite, profonde, juteuse, saine (elle ne couche qu’avec des gens très propres) et stérile ! Tu peux y aller, je l’ai déjà essayée, c’est bon ! Tu ne risques rien ! Ni descendance illégitime (une balle perdue, ça arrive, quoi ! et qui tôt ou tard se manifeste et qu’on envoie frapper à ta porte quelques années plus tard : « kokoko ! kokoko ! c’est bien moi ! »), ni chaude-pisse ! Pas même le Sida!

soki Ciboulette, en jeans

- Elle est bien tournée, bien balancée, bien baraquée ! Elle te fait sauter au plafond ! Elle te pile le pondu comme personne ! … Et elle te prépare un de ces excellents mfumbwa… tu m’en diras des nouvelles ! Tu aimes ça le mfumbwa, non ?

Kokoko !

Maman Bula-Bula

- Jeannette ! Quel plaisir de te revoir ! Tu es toujours aussi jolie !

son fils José

- Papa depuis la semaine dernière !

et sa fille Sonia, une des premières petites copines de Djuna… qui en avait deux : Sonia et Bibiane !

Tandis que Maman Pauline tresse les cheveux de Tensia et

- Tensia, lorsqu’on lui tresse les cheveux est toujours de très méchante humeur, mais ça ne l’empêchera pas de tendre l’oreille et d’écouter tout ce qui se dira : Comment va Passyna ? Comment vont Djuna et Lianja ? Et leur maman ? Kako a grandi (et pris du poids) ! Jeannette est grand-mère pour la première fois ! Elle a été retraitée « de force » mais voudrait bien se trouver une occupation payante : ouvrir un dépôt de ciment ou quelque chose dans le genre… mais, dans ce milieu-là, il faut bien sûr être « introduit » par quelqu’un qui connaît quelqu’un ! Sonia travaille comme infirmière à Saint-Joseph (là même où « Qui Saura » a été opéré de l’œil) et José bosse pour une boîte chinoise de télécommunications ! Sa voiture a été tamponnée mais elle roule encore, plus ou moins, et il la répare petit à petit ! La maison du Mont-Ngafula (située, plus exactement, dans la commune de Selembao, en face du Mont-Ngafula) est encore inachevée…

- Mais on se débrouille quand même ! Comme on peut…

qu’un dessin animé

- Si on coupe la télé, c’est encore pire ! Tensia ne tient plus en place et gueule encore davantage !

nous casse les oreilles…

Kokoko !

Un jeune homme, bien sapé. Entre dix-huit et vingt-deux ans. On dirait un étudiant endimanché se préparant à présenter un examen. Ou un nouveau diplômé postulant pour un premier emploi. Démarchage.

- Excusez-moi pour le dérangement !

- Oui ?

- Je suis venu pour la parole de Dieu !

- Non merci ! Moi je suis plutôt un adepte de la Skol et de la Primus ! Courage ailleurs !

Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, l’audience est à présent levée et les visites sont

- Je te connais, douchka ! Lorsque les gens « normaux » s’amènent pour te voir, même si tu les adores et alors même que tu leur offres à boire, je sais bien que, dans ta petite tête d’autiste et de psychopathe, déjà tu te demandes « quand est-ce qu’ils vont partir ? »… pour que tu puisses retourner tranquillement travailler et fantasmer (ou lire tes journaux) dans ta chambre ! A moins qu’il ne s’agisse de dingues et de chabraques dans ton genre et qu’ils ne t’invitent à finir la journée au bistrot,… Ce qui change tout, évidemment !

- Sale bouche !

terminées.