mardi 20 avril 2010

Ecrire à Butembo - Chapitre 3 - A « La Bénédiction de Dieu » - Yesu kaka !

Didier de Lannoy
Butembo !
sous-titré On m’envoie écrire ailleurs ! Ici, je dérange trop ? compte-rendu en musique d’un voyage dans le temps, à Kinshasa, 23 novembre 2007 - 11 janvier 2008
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Extraits

*J'y retournerai un an plus tard. Cliquez sur :http://anaco3.over-blog.net/
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A « La Bénédiction de Dieu »

Yesu kaka !


NCJ, préposé par Nadine à mon transport et à ma « sécurité »

- D’ailleurs, NCJ porte des lunettes fumées ! Comme Antilope, son père, lorsque celui-ci travaillait à l’ Agence ou au Centre National de Documentation (c’est comme cela qu’on appelait la Sûreté, sous le règne de Mobutu Ier, non ?) après avoir, avant l’Indépendance, bossé aussi, sans doute, pour les « services » du Congo belge.

espère une nouvelle panne de courant. Que je cesse de tapoter sur mon clavier.

Et que je sorte de ma chambre. Qu’il puisse me présenter son Kinshasa et, plus particulièrement, son Yolo-Nord. Qu’on parte à la recherche de

- « Qui Saura » est toujours à Kin ! Il n’est pas encore retourné à Luanda ! Y retournera-t-il jamais ?

César, alias « Qui Saura », le papa de Didiana et de Djuli. Et, aussi, qu’on aille ensemble écouter Evoloko Joker à La Crèche, un dimanche soir…

Vincent Lombume Kalimasi, Bibish Mumbu, Asimba Bathy et

- Le Kinshasa de Chéri Samba, je le connais déjà un peu mais un approfondissement et une mise à jour s’imposent certainement !

Freddy Tsimba doivent

- Et à quoi tu occupes tes journées, Vié ?

- Je dois écrire un texte sur Butembo.

- Un roman, une épopée, un récit de voyage ?

- Le « genre » du truc, ça je ne sais pas… Mais donnez-moi quand même des idées ! Parlez-moi donc de Butembo ! Ne vous contentez pas de me dire que les gens, là-bas, sont très travailleurs, très entreprenants (donc très sérieux et très chiants ?) et qu’ils ont réussi à se tenir à l’écart de la guerre qui oppose les FARDC aux troupes du général Laurent Nkundabwatare…Trouvez-moi donc autre chose !

m’introduire dans leur Kinshasa à eux (le palais de chacun, la famille des uns et des autres, les terrasses où tout le monde se retrouve).

Et peut-être aussi

- Pourquoi pas ?

Vincent Kenis qui se trouve en ce moment à Kin et qui a « de l’oreille » (comme d’autres ont « un coup d’oeil») et doit sûrement, lui aussi, avoir plein de trucs (des gens

- Ba mpangi ya Vincent !

des lieux, des histoires, des images et des sons) à me faire connaître, à m’apprendre ou à me raconter, j’imagine, non ?

Je dois faire le plein. Découvrir et

- Chaque personne que je rencontre est un nouveau roman, petite chérie ! A vivre ou à rapporter ! Et les gens ne se rendent pas compte de tout ce qu’ils valent en termes de roman… les projets qu’ils entreprennent et les merdes qui leur arrivent, leurs manques de pot et leurs coups de bol, leurs passions et leurs désespoirs… A moi de les aider à « extirper » tout ça, non ?

- Extriper, extorquer, escroquer, oui ! Tu es un grand escroc, douchka ! Escroc moko ya makasi !

- Tous les griots, petite chérie, vivent aux dépens de ceux qui se confient à eux ! Mais ils font aussi leur gloire, non ?

emmagasiner le Kinshasa de chacun. Graver sur mon disque dur les anecdotes et les épopées kinoises, les amener dans mes bagages à Butembo. Pour expliquer, faire

- Kinshasa, la capitale, ses gratte-ciel, ses grands boulevards éclairés ! Kinshasa, la ville des musiciens… de Noël Ngiama Makamba, mieux connu sous le nom de Werrason, alias « Igwe », alias « le Roi de la Forêt », alias « Igwe de la forêt », alias « Le Phénomène », alias « Le vieux qui assure », alias « la Majorité Plurielle » (l’auteur de « Solola bien ») et de Wenge Musica Maison Mère … de Jean Bedel Mpiana wa Tshituka, alias « JB », alias « Jibé », alias « Papa Chéri », alias « Général (maintenant Maréchal) Mukuku », alias « Souverain Ier », alias « Bin Adam » et son groupe Wenge BCBG… de Papa Wemba, alias « Mzee », alias « Kuru Yaka » (tellement connu qu’on ne doit plus le présenter à personne, même à des Bulankos)… de Fally Ipupa (l’auteur de « Droit chemin », un des tubes du moment, un ancien « petit » de chez Koffi), de Hervé Ferré Gola (l’auteur de « Sens interdit », un ancien de chez Werra et de chez Koffi), du « feu follet » Bill Clinton Kalondji (et les Samourais ! un ancien de chez Werra)… de Lutumba Simaro Masiya, alias « Le Poète » et les Bana OK, de Josky Kiambukuta, d’Evoloko Joker, de Koffi Olomide, alias le « Rambo de la musique congolaise », alias « Grand Mopao », alias « Papa Fololo », alias « Sarkozy » et son « Quartier latin international », de Félix Wazekwa alias le « Monstre d’amour » et de son groupe « Cultur’A Pays Vie », de King Kester Emeneya, de Nyoka Longo « Jossart », de Grand’Père « Benz » Bozi Boziana et son groupe Anti-Choc !

- Des chansons salaces tant chez Werra1 que chez Mpiana2 ou Bill Clinton3 et des « Atalaku » qui, sous prétexte d’animation, dansent de façon carrément indécente et poussent des cris obscènes, oui ! Des buildings dont les ascenseurs tombent trop souvent en panne et des boulevards désormais sans éclairage (sauf « le 30 Juin » et quelques autres tronçons d’avenues, au hasard des coupures de courant) et constamment engorgés, oui ! Une ville de rues crevassées et d’avenues trouées, oui ! Et de quartiers entiers menacés par les pluies torrentielles, les inondations et les têtes d’érosions ! Plusieurs centaines de familles « sinistrées » sur les sites Bribano, Socopao et autres dans la commune de Limete… qu’il faut encore reloger ! Et plusieurs autres centaines sur les sites Mataba (à Binza-Delvaux) et Masikita dans la commune de Ngaliema… qui n’ont toujours pas été indemnisés ! Une ville de délestage, de glissements de terrain, d’embouteillage et de chômage, oui ! La route de Matadi complètement défoncée au niveau de Binza-Delvaux… Deux heures de trajet entre l’UPN et le centre-ville… Crois-tu vraiment que Kinshasa puisse encore faire rêver les gens de Butembo, douchka ! N’y tourne-t-on pas plutot les yeux vers l’Afrique de l’Est ou même vers l’Asie, tout en ignorant Kinshasa ? Ne rêve-t-on pas plutôt, là-bas, aujourd’hui, de l’Ouganda et du Kenya, de Dubaï, de l’Inde et, surtout, de la Chine de la région de Canton ? Voire de l’Indonésie, de la Thaïlande, de Singapour et de la Corée ?

rêver, séduire

- Comment s’appellent les habitants de Butembo ? Pour parvenir à les séduire, il faut d’abord que je sois en mesure de les nommer !

de nouveaux amis, « ceux de Butembo » ?

Délestage.

- Encore heureux que, depuis peu, j’aie moins d’apnées et que je ne doive plus porter mon masque respiratoire…

- Et c’est pour cette seule raison que tu n’as plus jamais remis les pieds au Congo depuis dix-sept ans, n’est-ce pas ?

- Ben oui ! C’est ce que je disais aux gens !

- Et c’était vrai ?

- Ben oui !

Au village il n’y a pas de délestage. C’est

- Et à Butembo, il y a du délestage ?

l’inconvénient de vivre en ville. Mais en fin de compte ça ne pose pas tellement de problèmes. Il suffit de s’organiser, de gérer l’improviste, de ne jamais se laisser prendre

- Où sont les allumettes, le sac de makala, les bougies et les lampes à pétrole ? Et le mbabula et le fer à braises ? Merde, j’ai encore oublié de mettre mon portable à la charge ! Où sont le papier cul, mon paquet de Tumbaco, le thermos de café, mon mouchoir et le cendrier ?

totalement au dépourvu…

Le courant, ça vient et ça revient, ça part et ça repart. Il doit bien y avoir un Dieu, quelque part, sardonique et rigolard, qui se joue des gens, actionne des manettes et gère

- Nzambe aye, courant esili ! Dieu est-il corruptible ? Combien coûte-il ? Nzambe aye, courant ezali ! Quel est le montant de l’offrande que Dieu exige pour envoyer du jus aux hommes ?

tout ce bordel : qui sanctionner et qui récompenser, quand et pendant combien de temps. C’est lui qui détermine à quel moment de la journée je travaille et c’est lui qui arrête le programme

- A quand les PC à pétrole ?

de ma soirée. C’est lui qui décide si je fonctionne à la couette (quand la climatisation fonctionne) ou à la bougie. C’est lui qui fixe également l’heure à laquelle (avec les poules ou avec les chauves-souris ?) je me couche… Ce Dieu-là est

- Peut-on le révoquer et le remplacer, ce Dieu-là ? Ses compétences techniques sont-elles incontournables ?

très certainement un big boss bossu, b bb bègue, borgne et boutonneux qui, de toute évidence, prend un malin plaisir à ne communiquer son planning à personne.

Cette situation de dépendance n’est pas pour me déplaire. Elle présente même un certain nombre d’avantages. On ne peut pas facilement

- Ils peuvent toujours (ils n’ont qu’à, quoi !) rendre leurs visites dans l’après-midi, non ?

inviter des gens à passer la soirée (devant la télévision ou au clair de la lune ?) et à manger (des brochettes et des makembas… ou de la kwanga et du makayabu ?) et à boire de la bière (tiède… ou bien tapée ?) à la maison… On ne passe pas tout son temps dans une chambre enfumée à écrire ou

- J’aime lire n’importe quoi, petite chérie ! Tous les bouquins que je trouve sur les étagères de la chambre de Sukina ! Même des romans de Georges Simenon, d’Agatha Christie ou de Charles Exbrayat ! Même des livres pour jeunes ados (Tim Winton, « Tu es une légende », 2003, l’école des loisirs, pour l’édition française) et pour enfants âgés (la série « Arthur » de Luc Besson) ! Tout ce qui me tombe sous la main, quoi ! C’est plutôt chouette, quoi ! Je ne dois pas choisir et j’adore ça ! Je lis même des bouquins que j’ai déjà lus (plusieurs fois !) précédemment ! C’est sans doute ce que j’apprécie le plus dans la combine… L’auteur est désarmé, à poil, dépouillé de sa baguette magique ! Il n’est plus en mesure de « raconter des histoires » à ses lecteurs et de les mener par le bout du nez, à sa guise, comme il veut et où il veut ! Il doit les convaincre autrement ! Et, moi, je ne dois même pas te téléphoner pour te demander de m’expliquer ce qui se passe et de me signaler qui sont les bons et quels sont les méchants !

à lire, on sort de son trou et on cause avec tout le monde… On réduit

- A moins qu’il ne soit s’agisse d’un montant forfaitaire, douchka…

le montant de la facture d’électricité mais on n’effectue certainement pas d’économies sur d’autres postes du budget : les bougies, les allumettes, le pétrole et le charbon de bois…

Pas de courant, qu’est-ce qu’on fait alors ?

On va boire, tiens ! Et manger des brochettes ! Et de petites bananes frites (et du pili-pili poussière) !

Avec NCJ, à pied, dans un bar-boutique des environs, à « La Bénédiction de Dieu ». En terrasse.

Trois grosses liasses d’argent sont exposées sur une des tables installées à front de rue. Ostensiblement. Koffi Olomide (« Danger de mort »), Kalonji Bill Clinton (« Bompikiriki »), JB Mpiana (« Kipe ya yo »), Werrason (« Lidusu »), Ferre Gola (« Sens interdit »), Fally Ipupa (« Droit chemin ») et Papa Wemba (« Okoningana ») se relaient avec bonheur, sans copiner peut-être mais sans non plus se disputer, dans les baffles. On vide quelques bouteilles de Primus. Bien tapées. Chacun sa bouteille. Huit (ou neuf ?). Moins d’un casier. On les pisse, pisse, pisse, pisse, les unes après les autres

- Nake na sima !

tout au fond d’une parcelle, un peu plus loin, discrètement, entre deux carcasses de bus. Quelqu’un y a mis sécher du linge. A l’intérieur. A l’abri d’une pluie éventuelle. Etendu sur des banquettes.

La boutique-bar « La Bénédiction de Dieu » est un bureau de change, un repaire de cambistes, quoi ! Les voitures

- Les piétons aussi mais ils sont moins visibles...

frôlent, regardent, s’arrêtent. On achète des francs congolais et on vend

- Des euros ?

- C’est moins courant !

des dollars. Ou l’inverse. Furtivement. Comme on vendrait du diamba. Mais à l’aise. Sans devoir montrer sa carte d’identité à aucun guichetier. Avec soin. On compte, on vérifie, on empoche.

Après « La Bénédiction de Dieu », quelques jours plus tard, à Kingabwa, avec Nzeza (qui m’a fait visiter l’UCM, ses salles de cours et son cyber-café) et son équipe

- Médard, Laurent, Thierry… Et encore un autre gars, petite chérie, dont je n’ai pas retenu le nom !

de formateurs en informatique, on visite

- On y boit de la Primus ou de la Skol, on y mange du makayabu, on y grignote des arachides…

un temple de la même obédience : « Le plaisir de Dieu ».

Ces églises-là me conviennent plutôt bien. J’en suis, très volontiers, le paroissien.

1 « Ah, Lidusu ! Tobina na Lidusu ! Nakoti na Lidusu ! »


2 « Le poisson a combien de parties ? Trois parties ! Ah, Citez-les : Mutu, Libumu na Lopele, pele, pele, pele ! Elengi ya Lopele ! Est-ce que vous voulez danser Lopele ? Oui ! Pesa mokongo, tanda biloko… »


3 « Biloko ya mama, ezalaka elengi na nzoto ya papa ! Biloko ya papa, ezalaka elengi na nzoto ya mama ! Biloko ya Loli, ezalaka elengi na nzoto ya Christian ! Caleçons ya bango na bigidi petepete ! Caleçons ya bango ekomi petepete ! Bazalaka lolendo ya pamba, bigidi petepete ! Oladi mudinde, eh, mudinde, eh, longola buaka ! »