mardi 20 avril 2010

Ecrire à Butembo - Chapitre 9 - Au bord du fleuve, sans me noyer - Sens interdit !

Didier de Lannoy
Butembo
sous-titré On m’envoie écrire ailleurs ! Ici, je dérange trop ? compte-rendu en musique d’un voyage dans le temps, à Kinshasa, 23 novembre 2007 - 11 janvier 2008
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Extraits

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Au bord du fleuve, sans me noyer

Sens interdit !


Petite fête à Kinsuka. L’anniversaire de Katikia.

Le jardin de Maman Azanga donne directement sur le fleuve.

Chez les Azanga on est déjà à l’Est du pays, non ? Au Maniema et même au Sud-Kivu, non ? Et ainsi commence-t-on à se rapprocher tout doucement de Butembo, non ?

Le fleuve fronce les sourcils, plisse le front, serre les dents, gronde, grogne, feule, meule, bout, broie, moud, concasse, bouillonne, malaxe, rauque, rugit, barrit. Des barrages de pierres gigantesques (dressés par des féroces prétentieux et des géants méprisants) essayent d’en arrêter le cours, tentent d’en soumettre ou d’en briser la puissance, se cabrent, font saillir leurs muscles, s’entêtent, s’obstinent, enragent, souquent, s’arc-boutent. En vain. Aucun roc, aucune roche, aucun rocher ne pourra jamais s’opposer au passage en force du Congo. Le fleuve-pays parviendra toujours, tôt ou tard, à rompre ses liens et à libérer son énergie.

On me demande si Kinshasa

- Première voix : l’Exodus est devenu une clinique1 et Tshibangu une pharmacie !

- Deuxième voix : ainsi donc tout n’est pas négatif, dans le changement ?

- Première voix : ça dépend de l’interprétation… peut-être les problèmes de santé se sont-ils aggravés ?

a bien changé

- Mais Skol est toujours là, douchka ? Et le ciment de Lukala aussi ?

- « Matisa pression » et « Mabele ya mboka », oui ! Mais certaines choses évoluent quand même, petite chérie ! Une nouvelle équipe de football féminin vient d’être créée dans la commune de Ngaliema : « Les Griffes du Tigre de Kimbwala » !

- Douchka, tu n’es qu’un galopin, un farceur, un fumiste !

- M’enfin, petite chérie…

depuis mon départ, il y a plus de dix-sept ans…

Moi, je raconte l’histoire de la camionnette « le Congo, mon pays ». Celle que j’ai « photographiée » dans ma tête, au bord de la route, entre le rond-point Ngaba et le Mont-Ngafula, à droite, peu après la route qui, sur la gauche, mène au CNPP et au campus…

Mais ça ne fait rigoler personne. Peut-être l’ai-je mal racontée, mon histoire ? Peut-être n’ai-je pas trouvé les mots qu’il fallait ? Peut-être est-elle injuste et mensongère, mon histoire ? Et, sans doute, les gens n’y reconnaissent-ils pas le Congo, leur pays ?

Dois-je me rappeler la fable du taximan, en panne de démarrage, que m’a contée Nadine, alias « Gododo » ?

De toute manière

- Qu’est-ce j’en sais, moi ! De quoi j’me mêle, moi !

mieux vaut ne pas se prononcer sur la situation actuelle du pays alors que je ne la connais pas et que je viens à peine

- Nawuti Mpoto ! Nakomi « vrai mupaya » ! Nayebi eloko moko (lisusu) te !

de débarquer. Je préfère, pour le show, rapporter les commentaires (les médisances, les imprécations, les anathèmes, les verdicts

- Mobutu abebisi, Kabila asikisi !

ou les oracles ?) de la vieille maman

- Plus de quatre-vingt balais ! Mais toute sa tête ! Et quelle sacrée bouche, cette maman-là !

d’Antoinette Safu Mbakata à propos des régimes politiques antérieurs2. Ils remportent toujours un franc succès. Quel que soit le public. Et pas seulement chez les militants de l’UDPS…

Après le fleuve tourmenté de Kinsuka, le fleuve paisible (mais rongeant son frein, commençant à fermenter, rassemblant ses forces, frémissant sourdement et se préparant à bondir...) de Maluku.

Je m’y rends

- A l’invitation de Michel, semble-t-il, le chauffeur du CWB et aussi, semble-t-il (rien n’est clair mais on y va quand même), de Frédéric !

le lendemain de la petite fête organisée chez Maman Azanga.

Avec Ya Nze, Françoise De Moor, Frédéric Jacquemin, José Bau (ça se prononce « bahut »), NCJ et, bien sûr, Michel.

Je suis plutôt déçu… Je croyais

- Si j’avais su ! De ma propre initiative, je ne me serais sans doute jamais (au « Petit Paradis », un nganda maboke « De Luxe », situé au bord du fleuve et dont les clients sont tous des propriétaires de 4x4 ou, à la rigueur, de Mercedes : Bulankos, Nebalis et RD Congolais friqués) montré dans un endroit pareil ! Mais il faut quelquefois faire un peu d’anthropologie, non ?

que Michel nous amenait ailleurs, en famille ou chez un de ses amis, un fermier (ça ne manque pas) des environs de Maluku… Et qu’on nous y attendait… Et qu’on nous y avait préparé à manger… Et qu’on allait nous servir du vin de palme et du lotoko…

C’était un dimanche. Dans l’après-midi.

Compte tenu des embouteillages qui ralentissent considérablement le trafic automobile sur les principales artères de Kinshasa, c’est, manifestement, le dimanche que tout le monde devrait circuler et aller au travail dans cette immense ville-province dont la population a certainement doublé et, peut-être, triplé depuis mon départ, il y a dix-sept ans.

Il y a beaucoup moins de voitures, ce jour-là, non ?

Et Citronnelle ?

Pas revue, la princesse plantureuse. Evidemment. Mais elle harcèle NCJ

- Mais comment donc ce connard de neveu a-t-il pu lui laisser son numéro de portable à cette jeune demoiselle ? Seraient-ils complices ?

de coups de téléphone.

- Réseau ezali ?

- Ezali !

Partout. Dans toute la république.Même ici, à Maluku.

Elle m’attend ici. Elle m’attend là. Elle m’attend à Bandal ou ailleurs. Elle continue de m’attendre. Elle m’a même

- Ça c’est un vrai coup de foudre, petite chérie, non ?

- Assurément, douchka !

préparé du mfumbwa… et du tangawisi ! Quoi faire ? L’effrayer…. Invoquer

- Ça n’arrête pas de puruler et de suinter, Princesse… et de s’écouler, goutte à goutte, comme du miel gluant et malodorant ! Je me suis chopé un rhume du sexe, peut-être ?

une chaude-pisse chronique et même un sida que je soignerais en me trempant le zizi dans un antiseptique, la mettre sérieusement en garde

- J’ai complètement oublié d’emmener mes capotes lubrifiées au chrème et parfumées au fruit de la passion, Princesse ! Excusez ngai, limbisa ngai ! Je les ai laissées à Bruxelles !

- Sans effet, Chéri na nga !

se prévaloir d’un mal de tête, d’un accès de paludisme, d’une crise d’énurésie qui m’oblige à porter des couches-culottes

- Une crise d’« énu » quoi ? Ça, je trouve que c’est quand même inquiétant, Chéri na nga ! Il faut que tu m’expliques bien ! C’est la maladie des eunuques ou quoi ?

- Mais non, Princesse, l’énurésie est simplement une « tendance à faire pipi au lit », si tu vois ce que je veux dire… A un âge « où la propreté est habituellement acquise », si continues de voir ce que je veux dire…

- Ah, ce n’est que ça ! Sans effet aussi alors, chéri na nga ! Ta couche-culotte je peux toujours te l’arracher (et en profiter pour te shampouiner les cacahuètes et les rognons, vite fait !) et te la remettre ensuite, après la « faisance »… Pour le pipi, c’est plus gênant, bien sûr, mais il y a toujours moyen de s’arranger, non ? Du moment (peut-être que le sèche-cheveux de ma copine Pétronille pourrait faire l’affaire ?) qu’on s’aime, non ?

d’une opération de la prostate, d’un vœu de chasteté ?

- Et si je te disais, Princesse, que je n’aime pas (je l’adore !) le mfumbwa ? Et que manger du mfumbwa, ça me donne l’impression (comme le dirait Muka, alias « Tantine Betena », alias « Motema Magique », alias « Petite chérie » qui se marre et refuse de se porter à mon secours… mais je ne partage absolument pas son point de vue en ce qui concerne le mfumbwa !) d’avaler des lames de rasoir ?

- Sans effet, Chéri na nga ! Je te prépare de la salade, un steak et des frites-mayo, si tu préfères…

Je soumets le « problème » à Ya Nze (toujours accablé par la crise de malaria qui le mine depuis le soir

- Anastase Nzeza Bilakila a été la première personne à m’accueillir au Congo, lors de mon arrivée, en 1964 ! Il aura été, aussi, mon premier éditeur à Kinshasa, à « Présence Universitaire » ! Il sera également (lui et Marie Tumba, Nono Tala-Ngai, Emmanuel, Salumu, Anselme, Gaëtan, etc) une des toutes dernières personnes à nous dire au revoir lorsque nous quitterons le Congo « définitivement », tous ensemble (sauf le chien, Ndumba et la voiture, Pénélope), en 1990, à la fin de mon contrat ! Et voilà qu’il est encore, de nouveau, le premier à m’accueillir, en 2007, à mon retour ! Nzeza, l’homme de toutes les fidélités, le « citoyen » intègre aux amitiés indéfectibles, le « combattant » déterminé qui ne cessera jamais de lutter pour un avenir meilleur !

- Le « citoyen », douchka ? Tu retardes…

- Mais le mot existe, non ? Avec tout son sens… Quelque soit l’usage que le régime de Mobutu en ait fait, petite chérie !

de mon arrivée), à Michel et à José Bau. Ya Nze fait semblant de ne rien entendre. Mais les gloussements et les éclats de rire des deux derniers cités et

- Elle aura sûrement réponse à tout ! C’est la crise, non ? Refuserais-tu de te porter au secours d’une jeune femme dans le besoin ?

leur avis circonstancié sur la question n’ont rien d’encourageant.

Une murène venimeuse « enamourée » me guette donc à Bandal, prête à se jeter sur

- Comme un serpent félin sur un crabe engourdi !

sa proie.

Faudra-t-il donc que j’aille me péter la gueule ailleurs ? Qu’en pensera Bibish Mumbu qui, à son retour des Etats-Unis, doit encore

- Rendez-vous au Bloc, Vié !

- Dans quel sous-bloc te trouve-t-on le plus souvent, Bibish ? Au nganda Idolo, chez maman Coco, plus loin ? Et si on allait plutôt manger du cabri de l’autre côté de l’avenue, Bibish, dans les nganda ntaba installés juste à côté de Michaël Cosmetic, non ?

me présenter son quartier et m’emmener

- J’avouerai d’abord à Bibish (que je ne me rappelle pas avoir jamais accompagnée dans un bistrot, ni dans une église, ni dans une salle de spectacle) souffrir de deux handicaps, liés, sans aucun doute, à l’âge : mon oreille gauche, complètement fanée, qui m’oblige (sauf si je me tords le cou) à m’asseoir à sa gauche et ma « prostate » qui m’impose des pauses pipi régulières ! Ça mettra un peu d’ambiance !

- C’est comme ça que tu dragues, douchka ?

- Ben oui, petite chérie ! Ce n’est pas comme ça qu’on fait… cartes sur table, non ?

- Eh bien, bonne chance, douchka ! Je te souhaite plein succès dans ton entreprise ! Bibish te connaît un peu et doit (hélas ! j’ai honte ! je suis quand même ta femme, non ?) savoir à quoi s’attendre avec toi (elle a déjà dû, sans doute, se taper l’un ou l’autre de tes grossiers et grimaçants grimoires) mais je doute que Kabibi apprécie !

boire quelques verres de bière avec Kabibi, un de ses principaux personnages et une de ses meilleures amies ?

Etumba ya basi, kokota te ?

Aurai-je enfin la paix à Butembo ? La princesse Citronnelle, gonflée d’amour, qui ne prend

- Je suis une fille naturelle, moi !

jamais rien, ni contraceptifs, ni préservatifs

- Je suis pure, moi !

au sexe affable, douillet, satiné, velouté, indulgent, suave, moelleux, soyeux, liquoreux, duveteux mais

- Que Maliq et Filip me rassurent, petite chérie ! Est-il bien certain que ce genre de liane-boa ne pousse pas en altitude et qu’on ne trouve nulle part (même dans les boîtes de conserves en provenance d’Ouganda, du Kenya, de Dubaï, de Chine ou d’Afrique du Sud !) de mfumbwa à Butembo ?

aussi glauque, fangeux, gadouilleux, obscène, agrippant, volubile et carnivore, continuera-t-elle à m’y poursuivre de ses ardeurs sulfureuses et voudra-t-elle que je la fasse rire aussi là-bas ?

Aaah, Anaaah, Anaaaaaaaah !

Mukaaaaaaaaaaaaaaaaah ! Pourquoi donc m’as-tu abandonné ?

Pourquoi m’as-tu envoyé tout seul au Congo ? Pour que

- C’était urgent, douchka, non ? Tu n’y mettras peut-être jamais plus les pieds ! Et aussi longtemps que tu as tous tes esprits (aussi tordus soient-ils), il vaut mieux que tu en profites ! C’est une dette, non ? Tu dois bien ça à tes vieux amis ! Et à tous ceux qui t’ont adoubé !

- Mais tu n’aimes pas ce que j’écris, petite chérie !

- Ce n’est pas une raison, douchka !

j’écrive enfin un texte sur Kinshasa ? Pour me mettre à l’épreuve et

- Tordue que tu es, petite chérie !

- Mais pas autant que toi, douchka !

que j’affronte une jeune et jolie princesse de bar et (c’est pas gagné ?) que je sorte vainqueur d’un combat contre la fille préférée de Satan ?

1 Et l’hôtel Inga (côtes de porc, pommes de terre frites, et salade verte tous les jours et à toute heure), en face de Chéri Samba Maison Mère (CSMM) aussi …

- Aussi quoi, douchka ?

- Un centre hospitalier de référence !

2 Ça vaut bien les sarcasmes du n° 633 du 12 décembre 2007 du « Manager Grognon » (se définissant comme un « Journal satirique paraissant à l’improviste ») laissant entendre que la classe politique actuelle souffre de « Paludisme » et de « Kabilharziose » ! La presse kinoise a acquis, par rapport au pouvoir politique, une évidente liberté de ton et un « droit à l’impertinence » parfois étonnant ;