mardi 20 avril 2010

Ecrire à Butembo - Chapitre 23- Aujourd’hui, je ne bouge pas - Bokeseni ezali !

Didier de Lannoy
Butembo !
sous-titré On m’envoie écrire ailleurs ! Ici, je dérange trop ? compte-rendu en musique d’un voyage dans le temps, à Kinshasa, 23 novembre 2007 - 11 janvier 2008
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Extraits

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Aujourd’hui, je ne bouge pas

Bokeseni ezali !


Quelle différence ? Rien n’a changé !

Hier, j’ai dit par téléphone à tout le monde qu’aujourd’hui j’allais être à la disposition de chacun. Prêt pour toutes les rencontres et toutes les aventures. J’ai dit ça à Look (qui, en fin de compte, ne s’est pas déplacé à l’Est pour ses « premières vacances au pays depuis au moins trois ans »), à Tshibambe Lubowa, à Salumu Yamba Yamba et même, si je me rappelle bien, à « Qui Saura ».

Que faire ? Comment m’organiser ?

A qui mentir ? A tout le monde ? Ou, plus simplement, dire la vérité à chacun : que je n’ai pas de « transport » et que je suis un peu fatigué mais qu’ils peuvent

- Même Tshibambe qui habite à Lemba, douchka ?

tous venir me voir à la maison, chez Nadine, alias « Gododo »… Ou, si ça les arrange mieux, que nous nous retrouvions à Lingwala, à la Maison Sumate

- Pas avant que le soleil ait fini de cogner ! Pas avant 17 heures !

en fin d’après-midi ?

On viendra sans doute me voir...

On me dira que j’ai maigri, on me dira que j’ai grossi, que j’ai maigri, que j’ai grossi, que j’ai maigri, que j’ai grossi …

Et pourquoi pas ? Est-il donc nécessaire que « tout le monde » soit d’accord sur tout ? En RDC, « tout le monde » a le droit d’avoir une opinion, non ? Et des points de vue différents sont très souvent complémentaires et peuvent, un jour ou l’autre, converger, non ? Et j’ai des copains (et il y a forcément des gens

- Et des crapules et des opportunistes aussi !

- Sans doute ! Mais ceux-là, je ne les compte pas parmi mes amis…

de valeur, sérieux et responsables, des hommes et des femmes soucieux de l’intérêt général, dans tous les camps… chez les « Kabs », les « Lumbs », les Tshiks », les « Bembs » et

- Et les « Tuts » aussi ?

- Et chez les « Huts » et chez les « Tuts » aussi, bien sûr !

les « Mobs ») dans tous les camps. Il ne m’appartient pas de prendre parti…

Mais tout ce monde-là voudra quand même

- Pour « faire preuve d’urbanité, respecter les convenances et entretenir la conversation », douchka, « par courtoisie », comme tu le faisais toi-même, au Mate, avec ta Citrouillette, non ?

- Rancunière, petite chérie ?

- Jamais !

- Jalousette ?

- Encore moins !

connaitre mon avis, sans doute : « N’est-ce pas que Kinshasa a bien changé ? »… alors que je viens d’arriver et que je suis ignorant de tout et que personne, je me l’imagine bien, n’a rien à retirer de mon point de vue totalement « débranché » ?

Salumu Yamba Yamba

- Après « Qui Saura », enfin un autre frère en tabagisme (même s’il ne boit plus) ! Et, par surcroît, quelqu’un qui, en tant qu’ancien journaliste, pourra certainement me rapporter des « on dit » sur Butembo !

Je demande à « Sal » des nouvelles de Ngbanzo Lamangale

- Max est en France !

et

- Tu as son numéro ?

d’Ekambo. On lui téléphone sur le champ. « Ek » est à Brazzaville. Il compte bien revenir dans quelques jours. On se verra à son retour…

Et je lui donne, à mon tour, des nouvelles de Solange Vamecq, de Raymond Nzanga Suke, d’Antoinette Safu Mbakata, d’Anselme Kaleme Tampi, de Jean-Jou Kawembe…

Et Butembo, qu’est-ce qu’on en dit (vite, en vrac, avant de passer à autre chose, on a tellement de trucs à se dire…) ?

Butembo, me dit Salumu, est, pour l’essentiel un centre commercial qui s’est auto-construit et dans lequel il n’y a pas, comme dans tous les centres urbains d’origine coloniale, de subdivision entre « la ville » et « la cité ».

C’est, pour l’essentiel une ville de Nande, ayant au départ fait le commerce de la papaïne

- De la quoi, douchka ? De la papavérine ?

- Mais non, petite chérie, de la papaïne ! Un produit qui, si j’en crois Nadine, notre fille, rentre dans la composition de différents médicaments pour le foie, la vésicule et le pancréas ?

- Ça te conviendrait parfaitement, douchka ! Une raison de plus pour que tu ailles à Butembo, non ?

via l’Ouganda voisin (les Nande habitent des deux côtés de la frontière), avec les pays du monde arabe et asiatique et que ses habitants ont réussi

- En payant les combattants de tous les camps, dit-on…

à préserver de la guerre tout en

- Les Rwandais ne sont jamais venus à Butembo…

ne reniant rien de leur culture.

- On dit même des Nande qu’ils sont chauvins, voire même un peu xénophobes. Un commerçant venu d’ailleurs qui s’installe à Butembo et qui vend tel ou tel produit à 50 francs congolais ne parviendra pas, dit-on, à concurrencer un commerçant Nande qui vent le même produit à 100 francs congolais. Les habitants ne lui chercheront pas noise mais, dit-on encore, préfèreront effectuer leurs achats chez le commerçant du coin… Et celui qui vient d’ailleurs devra, tôt ou tard, fermer boutique…

Salumu me dit aussi (et ça, ce ne sont pas

- Je pu le constater par moi-même !

des « on dit », me précise-t-il ) que les habitants de Butembo ont construit dans leur ville des bâtiments

- Et à Kin aussi, maintenant ! Des maisons « à l’anglaise » avec des toits couverts de tuiles importées d’Afrique du Sud ! Particulièrement dans le commune de Kinshasa ! Jusqu’au rail !

superbes sur le style des maisons de Kampala et qu’ils commencent très jeunes à faire du commerce mais que, dès qu’ils en ont les moyens

- La France a même ouvert un consulat à Butembo, en 2002 !

ils envoient leurs enfants étudier à l’étranger.

Investissement, kaka !

Breaking News. Nadine m’apprend qu’on entend tirer du côté de Kingabwa. La Monuc

- Et il paraît que ça tire sérieusement !

contre la police congolaise ! Un « Monuc » aurait écrasé et tué un passant… et abattu le policier qui voulait l’arrêter…

Les policiers sont-ils montés

- Espérons que Ya Nze et Nicky ne se trouvent pas dans le coin !

à l’assaut du siège de la Monuc sur la route des Poids Lourds ou de la parcelle-entrepôt de la Quatorzième Rue ? Les « Monuc » se sentent-ils à l’abri de la vindicte populaire derrière de très hauts murs surmontés de doubles rouleaux de fils de fer barbelés, protégés par des sacs de sable et des miradors d’où pointent, peut-être, des mitrailleuses ?

Je sors sur la terrasse. Pour écouter…

Effectivement, j’entends

- Tuta ! Tuta ! Tuta ! Toot, toot, toot !

des coups de mortier, sourds et réguliers.

- Tuta ! Tuta ! Tuta !

C’est Mamie, la propriétaire de Nadine, qui pile des feuilles de manioc pour préparer son pondu.

Fausse alerte. Partie remise. Ce sera pour une prochaine fois. La soirée continue, dans l’obscurité…

Et Kako ?

Ce soir, Kako est à l’ASK (qui dispose, apparemment, d’un énorme groupe électrogène). Il joue au billard. « Avec des vieux ! » me dit Sukina. « Et il a même battu

- Des vieux ? Quels vieux, de quel âge ?

- De l’âge de Maman, quoi !

tout le monde ! ».

Hier Kako était tenté de me faire concurrence et de devenir écrivain. Demain, il sera

- Le billard, ça fait maigrir ?

champion de billard !


Et Tensia, qu’est-ce qu’elle devient ?

Comme d’habitude, Tensia joue avec des bougies et n’achève pas son assiette

- Qu’est ce qui se passe si je ne termine pas mon assiette ?

- Pas de récompense, pas de punition… Tu manges, c’est tout !

alors qu’elle s’est servie elle-même…


Plus tard dans la même soirée, une Maman, est venue

- Peut-être n’est-elle pas là ? Sans doute dort-elle déjà ?

voir Mamie, la propriétaire... celle-là même qui « toutait » les feuilles de manioc quelques heures auparavant… Mais Mamie n’a pas répondu. Le délestage permet

- Peut-être est-elle entre-temps tombée malade ?

aussi de faire la sourde oreille ? Certains visiteurs sont quelquefois importuns… ou porteurs de problèmes généralement peu solubles et toujours, toujours, toujours urgents, non ?