mardi 20 avril 2010

Ecrire à Butembo - Chapitre 22 - Chez un vieil ami… et sur le chemin du retour - Kin ebouger !

Didier de Lannoy
Butembo !
sous-titré On m’envoie écrire ailleurs ! Ici, je dérange trop ? compte-rendu en musique d’un voyage dans le temps, à Kinshasa, 23 novembre 2007 - 11 janvier 2008
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Extraits

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Chez un vieil ami… et sur le chemin du retour

Kin ebouger !


Papa Moleka (supporter de V.Club) me conduit à Livulu où je me rends à l’invitation d’un vieil ami, Evariste Mabi Mulumba… qui habite toujours la même parcelle (légèrement agrandie) et la même maison (légèrement agrandie) du quartier des professeurs de l’ex-Lovanium… toujours aussi sobre et

- La personne ou la parcelle, douchka ?

- Les deux, petite chérie, tu t’en doutes bien !

de bon goût et bien entretenue…

Comment m’habiller simple (je n’ai pas d’autre pantalon que mes jeans) mais propre ? Je mets la toute nouvelle chemise et la tout nouvelle paire de baskets brunes que

- Un père doit quand même faire honneur à ses enfants, fils !

mon fils Eric


Mon fils Eric m’appelle « fils », eh ! moi son père…

Dois-je l’appeler « papa », ah ! lui mon fils ?


m’a offerts

- Quand tu te déguises en charlot, fils, c’est toute la famille que tu ridiculises !

- Mais, fils toi-même, je ne me déguise pas, je « suis » un charlot ! C’est mon style à moi ! Tu dois t’y faire, quoi !

juste avant mon départ…

Lorsque j’entends Evariste Mabi, « le professeur ! » (celui qui, non seulement dispose d’un savoir mais qui est aussi capable de le transmettre : un « passeur d’idées ») me parler de la situation économique et financière de la RD Congo, je suis ébloui. C’est lumineux, précis, maîtrisé, responsable, sous contrôle. Tout est clairement identifié, les contraintes et les perspectives. Cette lucidité me rassérène et me réconforte… Mais, bien sûr, il reste énormément à entreprendre…

Une après-midi très agréable, un repas

- Ah, ces savoureuses affaires intérieures de chèvre ! Roulées comme je les aime, en nœuds de papillon pour premiers communiants !

délicieux…

Je demande à Jean-Marie Mulamba, le beau-fils d’Evariste, s’il peut me redescendre en ville, si

- Pas de problème !

je peux profiter de l’occasion…

En roulant de Livulu jusqu’à Kintambo, nous continuons de discuter… Et je partage le point de vue de mon hôte comme quoi le Congo est un pays d’avenir ! Et que l’avenir est ici plutôt qu’ailleurs ! Ici plutôt que dans les « vieux pays » où l’on ouvre des magasins d’alimentation pour animaux de compagnie et des « seniories » pour croulants fortunés, propriétaires de dettes publiques ou de dettes extérieures, propriétaires de la misère du monde … tandis qu’on ferme des écoles… et que de jeunes chômeurs, à savoir, le plus souvent, des Belges « allochtones » (comme ils osent dire !), sont invités à suivre une formation de conducteur de motos-crottes et de contribuer ainsi à l’amélioration de l’environnement en ramassant les déjections canines des chiens de compagnie des Belges « autochtones » (comme ils se plaisent également à dire !)…

Dans le Congo d’aujourd’hui

- Et ceci un indicateur évident de bonne santé ! Un des meilleurs qui soient, non ?

la population, en effet, est très jeune, très ardente, très active et chaque personne a des rêves, des idées, des projets… et les réalise… difficilement… mais avec patience, courage et détermination… Qu’il s’agisse

- Je n’ai pas rencontré une seule personne qui ne m’ait pas parlé de son projet, pas une !

d’ouvrir un petit commerce, une petite entreprise, une petite société de transport, une pharmacie, un restaurant, un nganda, une chambre froide, un garage (avec poste de soudure, service « quado » et salle de peinture), un dépôt de tout ou de rien (bière ou ciment), un atelier de réparation d’appareils électro-ménagers, un atelier de production de boissons à meilleur marché (« eau pure »… et, pourquoi pas, liqueurs en sachet ou lotoko), un bureau de consultance ou un atelier de couture, de suivre une formation, d’obtenir un diplôme et d’acquérir une nouvelle expertise, de mettre sur pied une organisation féminine, une association, un comité, un syndicat, de fonder un orchestre, de lancer un disque ou de monter un spectacle, d’ouvrir et d’animer une maison de jeunes ou un centre culturel1 dans son « quartier » , d’écrire des textes époustouflants2 et de les lire en public devant des jeunes de son « quartier », de publier un livre, de créer un journal, de tourner un film avec une caméra video, de sortir un album de BD ou une revue de musique ou un recueil de recettes de cuisine, de lancer une station locale de radio (ou même de télévision), d’exploiter une cabine téléphonique (ou un cybercafé ou un service de photocopie… ou un moulin à manioc), d’adopter un orphelin ou de se remarier après le décès d’une première épouse, d’inventer un modèle de « mbabula » plus économique et de le proposer aux habitants de son « quartier », de constituer une nouvelle équipe de football féminin dans son « quartier », de se lancer dans la maraîchage et de cultiver des haricots, des oignons, du persil, des poireaux, du pili-pili, du manioc, des arachides et des patates douces, de planter des arbres fruitiers, de créer une ferme, d’aménager une source, de forer un puits, d’ériger un petit château d’eau, de replanter des espaces verts décimés par l’exploitation forestière ou la fabrication de charbon de bois, de se lancer dans l’élevage de porcs ou de volaille, l’apiculture ou la pisciculture aux environs de Kinshasa, de réhabiliter une école du « quartier », de déblayer des caniveaux et de jeter un pont de secours sur un ruisseau pour désenclaver le « quartier » ou en faciliter l’accès… Les gens ne sont plus inertes, passifs, geignards, attentistes, éteints… Ils ont repris l’initiative… A Yolo-Nord, à Kimbangu, à Makelele, à Kimbwala, à Malweka, à Bisengo, à Manenga (du côté de Binza Ozone), à Matadi-Mayo (ou Matadi-Kibala), à Kisangani ya Suka, à Mikonga/Bibwa, à N’Djili Sainte Thérèse, à Ndolo Libongo, à Kinsuka Pompage, à Kindele, à Kimwenza Mission dans la commune de Mont-Ngafula, à la Cité Verte, à la Cité Salongo, au quartier Mongo dans la commune de Matete, au quartier Mapela dans la commune de Masina, au quartier Gungu dans la commune de Ngaba… j’ai l’impression que, partout, au niveau des « quartiers », des Kinois se prennent en main, s’assument et s’efforcent, dans la mesure de leurs moyens, d’« assurer »… Mais toute cette énergie, évidemment, réclame d’être soutenue par un « refinancement » rapide des activités sociales et économique du pays et une remise en état des infrastructures de base…

La légendaire jovialité des habitants de Kinshasa en a pris, certes, un sacré coup (et les descendants de la génération BMW

- BMW ?

- Beer, Music, Woman !

ont dû apprendre

- Plus personne n’est en mesure de dépanner personne ?

- Ba vieux oyo bafulaka biso, bango moko baza mpiaka !

à lutter plus… et à moins

- Les concerts commencent à 22 heures et se terminent beaucoup plus tôt qu’avant !

faire la fête) et c’en est fini du temps où tout

- Même la bière, la musique et les femmes ! Et l’argent qu’il fallait pour se payer ça ! Tout le monde briguait alors un poste de direction au service de scellage des colis de diamants, non ?

venait d’en haut… l’autoritarisme de Mobutu ayant, pour une bonne part, chaussé les bottes du paternalisme colonial…


Le général Léonard Mulamba, Premier Ministre de la toute nouvelle IIe République, du 25 novembre 1965 au 26 octobre 1966, avait, il y a très longtemps, pris sur ses genoux, dans un avion surchargé qui allait de Kananga et Kinshasa, une petite fille née le 31 août 1962 qui ne s’appelait pas (encore) Muka alias « Tantine Betena », alias « Motema Magique » mais

- Mais non, ce n’était pas moi, douchka, c’était ma sœur, Luz ! Moi, il m’avait prise sur les épaules, à la sortie de l’avion… Maman voyageait seule avec ses trois filles, Luz, Agnès et moi, toutes en bas âge, et personne ne l’accompagnait pour lui donner un coup de main !

- Ça ne fait rien, petite chérie, dans mon histoire ce sera toi ! On a les légendes que l’on mérite, non ?

Ana. Entre Livulu et Ma Campagne, dans la 4x4 de son papa (Jean-Marie) et de sa maman (Valérie), j’ai pris sur mes genoux Paul-Henri, le petit-fils du général Mulamba. Oui, mais quand il a voulu s’endormir, il a préféré les bras moelleux d’une tantine à mes vieux abattis, osseux et desséchés...

1 Chez « Les Béjarts »

- A qui se réfère-t-on ? A cette famille d’acteurs dont toutes les femmes (Madeleine, Armande) ont épousé Molière ? A la jeune, joyeuse et enthousiaste bande de chorégraphes et de danseurs du « Ballet du XXe siècle »… avant que Maurice (Béjart, évidemment, pas encore Mbwiti !) ne commence à trop se regarder danser dans le miroir ?

- A Bandal-Makelele, l’ancien et le moderne, la danse et la comédie font bon ménage et se complètent savoureusement !

dans l’espace culturel animé et dirigé par Papy Maurice Mbwiti, ce qui m’a ébloui... plus encore que la lecture par Bibish de ses propres textes devant les « Petits » de son quartier, plus encore que le film audacieux (sur la guerre que des hommes « en armes et en uniforme » ont faite aux femmes dans certaines provinces de ce pays) produit par la troupe et que le spectacle (« Ata subventionné » par la Monuc ou toute autre mafia distributrice de cacahuètes de la « communauté internationale »… Molière, au Congo, a réussi à me faire rire en écrivant, en mettant en scène et en interprétant une farce sociale, truculente mais aussi instructive, sur le sida, un exploit !) inscrits au programme de la soirée à laquelle j’ai assisté… c’est le public : nombreux, jeune, mixte, impliqué, réactif…




2 Ebouriffants, exorbitants, étourdissants, ébaubissants, espatrouillants… Ainsi sont les textes de Bibish Mumbu. Dois-je encore

- Tu exagères, râle In Koki Jean Bofane ! Tu cherches à te placer ? On ne pourrait pas changer de sujet et parler de quelqu’un d’autre ?

- De qui, de toi ?

le répéter ?.