mardi 20 avril 2010

Ecrire à Butembo - Chapitre 21 - Au village Kinzeza - Zekete zekete !

Didier de Lannoy
Butembo !
sous-titré On m’envoie écrire ailleurs ! Ici, je dérange trop ? compte-rendu en musique d’un voyage dans le temps, à Kinshasa, 23 novembre 2007 - 11 janvier 2008
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Extraits

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Au village Kinzeza

Zekete zekete !


On passe d’abord par

- Pas de face-à-face, comme devant l’UPM, entre potaches et policiers casqués et armés de matraques et de boucliers ! Les étudiants s’énervent : ils ont payé leur minerval et les cours n’ont pas encore recommencé ! Que les profs reprennent les cours et qu’ils terminent au moins l’année académique 2006-2007… Jusqu’où vont-ils la faire traîner? On finira par les taper, ces profs qui ne pensent qu’à leur pognon !

le Campus de Kinshasa. A la pépinière

- Il est encore vivant, cet homme-là ?

du Père Paulus (juste à côté du centre nucléaire !) où Nzeza doit retirer de jeunes pousses d’arbres qu’il compte planter dans « sa forêt » du Bas-Congo… et où

- Ça fait longtemps !

- Vous avez travaillé au CPA, n’est-ce pas ? Et comment se porte Madame Lambinet ?

je rencontre le professeur Kanga qui fut, dans les années quatre-vingt et quelques, Secrétaire Général du CIDEP et un de mes anciens patrons… et qui, à présent, s’intéresse certes à la grève du personnel de l’enseignement supérieur et universitaire et aux intérêts de sa « corporation » mais aussi, semble-t-il à la botanique ?

Route de Mont-Ngafula. Beaucoup de boutiques, de cabines téléphoniques, d’ateliers…

Et beaucoup de terrasses aussi… où il faudra bien jour, un jour ou

- Avec Filip, qui a une baraque dans le coin ? Avec toi, petite chérie ?

l’autre, que je m’arrête pour honorer les dieux Skol et Primus dans chacun des temples du quartier : « Dieu est Amour », « La Grâce de Dieu », « L’Eternel est ma Force », « La Paix de Dieu », « La Main de l’Eternel », « La Puissance de Dieu »…

Sortie de Kinshasa.

Route de Matadi, la Nationale 1.

Matadi-Kibala, juste après la Cité Maman Mobutu. Un gigantesque marché (où les Kinois achètent tous les produits en provenance du Bas-Congo) s’est installé, peu à peu, « sans que personne ait rien demandé à personne », sur la nationale et dans certaines rues transversales.

Beaucoup de nouvelles constructions à Matadi-Kibala… mais pas d’espaces réservés pour des infrastructures publiques (ni parkings pour les « transports » à destination ou en provenance du Bas-Congo, ni emplacements réservés pour des écoles, des centres sociaux ou des dispensaires, ni terrains de football…) sauf un nouveau marché, un grand bâtiment tout neuf, construit à cent cinquante mètres de la chaussée… et qui est, apparemment, boudé par tous les vendeurs et toutes les vendeuses de produits frais !

Coup de téléphone

- Je suis sur la route du Bas-Congo

- Quand rentres-tu ?

- Ce soir !

- On se téléphone demain matin alors.

de Salumu Yamba Yamba, à qui Raymond Nzanga Suke a transmis mon numéro de portable.

Une petite antilope vendue au bord de la route.

Un camion dans le fossé, quelques kilomètres avant Kasangulu.

Plus aucune « barrière » de militaires rançonnant les voyageurs (elles ont toutes été levées sur la route du Bas-Congo alors qu’il en subsisterait encore une dizaine sur la route reliant Kinshasa au Bandundu) mais

- Ça, c’est nouveau !

un péage routier.


Et pendant ce temps-là, à Kinshasa, dans l’après-midi, Kako, qui vient d’avoir 13 ans et son cousin David, du même âge se font arrêter, à moins de trois cent mètres de la maison de Nadine, alias « Mère Courage », pour avoir pris une photo

- Boyebi te que c’est la guerre au Kivu ? Et que nous sommes en opération ! Et qu’on ne photographie pas des militaires en opération !

de militaires « de garde » devant la parcelle d’un général… affalés, vautrés, avachis, étalés sur des fauteuils de jardin en plastique, fumant du diamba…

- Kako, tu devrais te mettre un écrire un roman sur tout ce qui t’arrive ces derniers jours : un renvoi de l’école pour incitation à la bagarre dans la cour de récréation, une arrestation pour atteinte à la sûreté de l’Etat !

- Demain, Papa Didier, demain !

Je demande à Nadine combien ça lui a coûté pour faire libérer son fils

- 20 dollars ! Et le péage sur la route du Bas-Congo, c’était combien ?

- Un peu plus de trois dollars ! 1600 francs congolais, pour un trajet aller-retour dans le district de la Lukala… mais, en principe, cet argent-là est censé aller dans les caisses de l’Etat, de la Région ou de l’entreprise Forrest, chargée de l’entretien de la route, non ? Et l’appareil photographique appartenait à qui ?

- A David !

- Et qu’est-il devenu ?

- Confisqué ! Mais David a fini par le récupérer !


Mvululu, au croisement de la nationale et de la route de Luzumu…


La route qui mène à la « prison souterraine » de Luzumu. Où un de mes anciens patrons (qui, à l’époque, était un important « maître à penser » de la société congolaise et qui s’était donné la peine

- Vous êtes quoi, vous ?

- Euh… juriste1 !

- Et pour vous le droit, c’est quoi ?

- Je ne sais pas moi, une technique devant permettre de rendre la vie en société plus facile, non ?

- Le droit est au service de la société qui le génère ! Dans une société fondée sur l’injustice et les inégalités, le droit sert à perpétuer ces injustices et ces inégalités ! A société raciste, droit raciste ! A société coloniale, droit colonial…

de travailler rapidement, dès mon entrée en service à l’Institut National d’Etudes Politiques, à ma décolonisation mentale), André Nkanza Ndolomingu, le président de l’Union Générale des Etudiants Congolais (UGEC), a été emprisonné, sans jugement ni condamnation, pendant de nombreuses années, sous le régime de Mobutu.

Angwalima, aujourd’hui décédé, a, lui aussi, été longtemps incarcéré à Luzumu.

Angwalima, bandit de grand chemin, selon les uns… et Robin des Bois, selon les autres qui voyaient en lui une espèce de « redistributeur social de richesses », volant les riches pour distribuer aux pauvres…

A sa sortie de prison, Angwalima a épousé une femme de la région et s’est installé dans les environs de sa prison.

Sa femme et ses enfants

- Pas loin, on voit sa maison d’ici !

habitent toujours là.


Et enfin, le village Kinzeza.

La jeep de Nadine est une « voiture de la ville ». Elle ne porte pas vraiment la tenue qu’il faut pour se promener en pleine campagne. Sa robe est toute chiffonnée, toute griffée et

- Avant mon retour à Bruxelles, je lui en offrirai une nouvelle !

- Une jeep ?

- Une robe !

ses souliers sont crottés.

Pourquoi donc les ruisseaux et les rivières coulent-ils toujours au fond des vallées ? Et c’est aussi là que se trouvent les ruches de Nzeza, la source d’eau potable et l’étang où la sœur de Ya Nze met rouir son manioc pendant trois jours et les anciens étangs piscicoles… vidés, un soir de pleine lune par de mauvais voisins…

- J’ai mal à mon mukongo, petite chérie !

Papa Antoine, essoufflé (comme moi) et transpirant (comme moi) émet

- Et qu’on envoie Kako chercher de l’eau à la source, plusieurs fois par jour, ça lui fera faire de l’exercice !

une suggestion que je transmettrai à Nadine, alias « Gododo », alias « Petit Bal » » : que Kako vienne passer une semaine de congé au village de Papa Nzeza. Pourquoi pas ? Et qu’il se taille un chemin à la machette

- Des animaux, douchka ?

- A part quelques abeilles en vadrouille (ça n’arrête pas de bosser, ces petits bijoux-là !) et quelques petites bêtes qui gratouillent, gratouillent, gratouillent… j’ai croisé un mille-pattes !

dans la forêt sacrée de Ya Nze… qu’il s’est réservée, où il plante de nouvelles espèces d’arbres et à laquelle même sa sœur et ses neveux

- Ni couper des arbres, ni faire des champs !

ne peuvent toucher.

Et après avoir descendu la colline, Kako devra encore la remonter ! Et la redescendre et la remonter ! Et la redescendre et la remonter ! Et la redescendre et la remonter !

Coup de

- Encore toi, Judith ! Comme à Bruxelles ! On n’est plus jamais tranquille nulle part ! Même au village de Nzeza ! Il faut toujours qu’on soit dérangé !

téléphone de Judith Bisumbu (avec Ben Mavinga et Muka, alias « Petite Chérie », alias « Tantine Betena », alias « Motema Magique » qui, pour une fois, me parle tendrement) alors que, assis sous un safoutier, à l’ombre, nous devisons et mangons tranquillement… des safu (avec du pili-pili fraîchement « touté »), de la kwanga et

- Tu aurais adoré, petite chérie ! Judith aussi (quant à Ben, je n’en suis pas sûr, il aurait pu faire des manières) !

un plat de « mbika aux chenilles noires » préparé par la sœur de Ya Nze…

Un jeune frère de Ya Nze, victime

- Comme Jipéji !

d’un AVC (et qui, un jour, a pris la décision de quitter Kinshasa et de venir s’installer ici, à Kinzeza, loin de la ville) est assis « pour toujours », sur une chaise en plastique, la tête penchée, le côté gauche paralysé, à demi prostré, sans aucune

- Faute de moyens !

possibilité de rééducation, sans fauteuil roulant, sans aucune autonomie de déplacement, dans une petite maison en pisé.

Il me reconnaît et

- Vous avez grossi !

- C’est une critique ou c’est un compliment ? Disons plutôt que j’ai vieilli, non ?

fait l’effort de me sourire.

Je ne sais pas quoi lui bafouiller… mais je promets de revenir lui dire bonjour, tôt ou tard

- Je ne sais pas quand…

un jour ou l’autre…

Retour avant le coucher du soleil.

Encore un camion dans le fossé (rempli de sacs de charbon de bois) et beaucoup d’autres camions, de taxibus et de taxis, pleins de marchandises ou de passagers, agonisants sur le bord de la route… et qui ne verront sans doute

- Pas aujourd’hui ! Mais demain sûrement ! Et peut-être même, déjà cette nuit ! Tous « remis sur pied » dans l’entre-temps, ravigotés, ragaillardis, en toute grande forme et prêts à repartir à l’assaut de la ville !

jamais Kinshasa, la ville promise.

Beaucoup plus de pannes et d’accidents au retour qu’à l’aller. Beaucoup d’odeurs d’huile brûlée.

Encore une petite antilope vendue au bord de la route. Toujours la même ? Au même endroit ?

Coup de téléphone encore… alors que, après une dernière bouteille à l’espace Dayana, sur l’avenue du Haut-Congo (près de chez le professeur Mbulamoko Nzenge Movoambe), avec Ya Nze et Papa Antoine, je suis à peine rentré à la maison… harassé, fourbu, courbatu, et que

- Tirant prétexte du délestage, eh !

je me suis rapidement mis au lit, à seulement 21h… de Jean Moorhead-Dehasse

- D’où m’appelles-tu ?

- De Bukavu !

- Si tu es encore là dans un an, on se retrouve à Butembo, ça va ? Ce n’est pas trop loin de Bukavu, pas même 500 kilomètres ! Pour les gens de ton pays, ce n’est rien du tout, non ?

- Ok !

et d’Anselme Kaleme Tampi qui

- Vieux, comme ça va ?

- Je suis vraiment très content de t’entendre, Anselme ! J’ai vu Nkoy et je lui ai remis ton paquet... Il se porte bien ! Et comment ça se passe à Bruxelles ? Et chez toi, à la maison ?

depuis qu’il est devenu citoyen belge

- C’est mauvais, très mauvais ! Ce n’est pas bon !

me parle, évidemment, du temps qu’il fait… lequel, on s’en serait douté, n’est jamais le bon.

Je lui raconte aussi les aventures de Kako. Ça le fait

- Kinshasa n’a pas changé !

bien marrer, ça lui rappelle les mises au cachot, vers les même âges, d’Eric

- Qu’est-ce qu’il avait encore fait celui-là, petite chérie ? De quoi s’était-il de nouveau rendu coupable, le chenapan ? Il faudra bien qu’il me rappelle, un jour, tout ça !

et de Lola (la fille de Maître Kalemba qui avait eu le tort, à 12 ans, de sauter à la corde en short de gymnastique sur le trottoir de l’avenue Major Vangu (ex- Comité Urbain), alors que le Bureau Politique ou le Comité Central du MPR avait décrété

- A moins qu’il ne s’agisse d’un discours-fleuve-loi du Président-Fondateur, prononcé à la N’Sele ?

que le port du pagne était désormais obligatoire), la belle-sœur actuelle

- Et qui, maintenant, du fait de son mariage avec le frère de Bibish, est devenue « allemande », du côté de Dusseldorf ?

de Bibish Mumbu… qui ne m’a pas fait

- Sans doute est-elle un peu lasse, petite chérie… Tu pourras dire ça à In Koli Jean Bofane, alias « Fossoyeur Jones » ! Ça va peut-être le rassurer ?

- Bref, elle t’a envoyé sur les roses, quoi !

- Mwais… dans les acacias ou les matiti plutôt… Ainsi, donc, n’irai-je sans doute jamais boire un verre avec Bibish au « Bloc de Bandal… A trois, avec Jean Bofane, on constituait pourtant une belle équipe, non ? Mais ainsi va le roman : certains personnages qu’on attendait (mais ça ne fait rien, on les gardera quand même au générique, on en fera des personnages fantômes) ne sont pas au rendez-vous ! D’autres disparaissent carrément, comme Citronnelle et Pétronille ou s’estompent furtivement, comme NCJ… D’autres émergent peu à peu, comme « Qui Saura »

- Attaque, douchka ! Arrête de jérémiader, attaque !

signe à la fin de la semaine, comme elle me l’avait annoncé, et dont je n’ai plus aucune nouvelle…

La meilleure image que je garde de Kinzeza ?

Plein d’images ! Mais, quelquefois, les meilleures photos ne sont pas celles qu’on a prises et les images qu’on me rapporte sont plus fortes que celles que j’ai visionnées personnellement.

Nzeza me raconte les aventures de deux Bulankos qu’il avait amené visiter son « village » et qui

- Il faut absolument faire quelque chose !

ont obligé

- Stop ! Vite ! Dépêchons-nous !

le chauffeur arrêter la voiture devant un feu de brousse allumé par des paysans-chasseurs du coin, sont descendues du véhicule et


Je me pose des questions rigolotes que, évidemment, je n’ose pas formuler à haute et intelligible voix devant Ya Nze.

- En slip et soutif ? En se servant de leur robe pour étouffer les flammes? Mais sans doute portaient-elles le pagne (et mangeaient-elles la kwanga en la pétrissant avec les doigts) pour se donner l’impression d’être bien « intégrées » à la société congolaise, non ?

- Arrête, douchka ! Avec l’âge, tu es devenu un vieux dégueulasse !

- Et avant l’âge, j’étais quoi ? Un jeune dégueulasse ?


se sont efforcées d’éteindre les broussailles, en gesticulant dans tous les sens, sous le regard stupéfait des paysans… éberlués, déconcertés, hilares… dont la chasse a, certes, échoué mais qui, à défaut de mbokolo ou de simbiliki, ont quand même ramené à la maison une histoire comique à raconter aux vieux et aux enfants.

Une histoire qui, certainement, a un sens profond, non ?

1 C’était notre première rencontre… Je n’allais pas lui avouer tout de suite que j’avais « choisi de faire le droit » parce qu’en Fac de droit, l’horaire ne comprenait pas de cours de latin, de mathématiques ou, pire encore, de statistiques ! Et que, à l’époque, l’horaire ne comportait que neuf heures de « leçons magistrales » par semaine (sans que les présences soient mêmer relevées) ! Et pas de séminaires réellement obligatoire ! Et qu’on devenait « docteur » sans avoir de thèse à présenter !