mardi 20 avril 2010

Ecrire à Butembo - Chapitre 1 - Un projet très vague et encore bien incertain - Solola bien !

Didier de Lannoy
Butembo !
sous-titré On m’envoie écrire ailleurs ! Ici, je dérange trop ? compte-rendu en musique d’un voyage dans le temps, à Kinshasa, 23 novembre 2007 - 11 janvier 2008*

Extraits

*J'y retournerai un an plus tard. Cliquez sur :http://anaco3.over-blog.net/
Sur l'agence AnaCo, voir aussi: http://anaco1.blogspot.com/
et http://anaco2.blogspot.com/




Un projet très vague et encore bien incertain

Solola bien !


Filip De Boeck, retour de New York, me dit


Ça se passait en novembre 2007, à la maison, au 21, rue Maes, à Ixelles.

- Qu’est-ce qu’on fêtait ? Un deuil, les fiançailles de Wied et Angel, un retour à la case départ ?

- Je ne sais plus !

On fêtait je ne sais plus quoi et ça se passait en présence de Mama Luta (la maman de Malou, de Cricri, de Jean, de Nénette et d’un autre frère dont j’ai oublié le nom), de Maman Sophie (la copine de Mama Luta), de Maman Azanga (la mère de Katikia, de Mamitchou, de Nalini et de Kelo), de Freddy Tsimba

- Oui, en présence de pas mal de gens, mais Filip m’a pris sur le côté et personne n’a rien entendu…

d’Alain Brezault et de Françoise De Moor. Et d’autres personnes

- JP Kabeya ?

- Très probablement ! Mais je ne vois plus qui encore…

aussi.


que Maliq

- Le rappeur congolais ? Abd el Maliq ?

- Meuuunon… L’autre !

et d’autres personnes que je ne connais pas, sont en train de monter un « projet » portant sur différentes petites villes d’Afrique. Au Sénégal, au Ghana et au Congo (RDC). Pour le Congo, la ville retenue est Butembo. Ce projet comporte un volet « écriture » et

- Ça te plairait ?

Filip me fait la proposition d’écrire, pendant six mois

- Quoi ça, où ça, quand ça ?

- Du calme ! Rien ne presse ! J’ai seulement donné ton nom à Maliq ! Tout reste encore à faire, rien n’est encore conclu!

à Butembo.

- Sur Butembo ?

- A Butembo !

- Et pourquoi tu ne demanderais pas ça à Bibish Mumbu ?

- J’ai pensé à elle… mais Maliq et ses amis préfèrent prendre quelqu’un qui n’est pas du pays… Ils pensent que ce serait mieux…

- Même quelqu’un de la tribu des Bulankos ?

- Pourquoi pas !

- Même un moins jeune ?

- Même un Vié !

- Accepte, accepte ! s’emballe aussitôt Ana


Ana, alias « Tantine Betena », alias « Motema Magique », alias « Petite chérie », alias Muka

- Pourquoi Muka ?

- C’est ainsi que nos kokos l’appellent ! Et c’est ainsi que je l’appellerai désormais, dans la suite de mon texte… Et moi, je serai « Papa Didier » ou « Vié », sauf pour les gens de ma génération qui ont, depuis toujours, pris l’habitude de m’appeler « Didier » et sauf pour Muka qui continuera de m’appeler « douchka »

n’a vraiment pas du tout envie de venir me voir, une fois par semaine, à l’hôpital Brugmann (bâtiment M, unité 82) ou dans

- Le home Van Aa.

une maison de repos et de soins de la chaussée de Boendael… ni de changer les couches-culottes du vieux pépé, ni de le promener en chaise roulante, sous une petite pluie fine et froide ou dans la boue, grasse de toute la merde et de toute la pisse de tous les cadors et de tous les cabots et de tous les cerbères et de tous les toutous de tous les bourgeois de tout le quartier, le long des étangs d’Ixelles, au fond duquel hiberne, dit-on, un crocodile affamé (mais détestant, semble-t-il, la chair desséchée des vieillard cacochymes et bilieux, propriétaires

- Mais non, douchka, qu’est-ce que tu crois ? Ceux-là se sont installés en Espagne ou dans les Antilles ou sur la Côte d’Azur ! Pas dans les seniories d’Ixelles !

de la dette publique de l’Etat belge et de la dette extérieure de nombreux autres pays… et ne supportant pas non plus la viande aseptisée des chiens de compagnie, péteux, endimanchés, parfumés et bichonnés comme des cocottes), depuis déjà quelques mois, attendant

- Okozela trop, Papa !

le retour du beau temps… des jolies filles, des décolletés et des minijupes…


à qui Filip propose aussi (Maliq lui-même

- Comme interface, Muka serait parfaite ! Encore faudrait-il qu’elle se mette sérieusement à l’informatique...

en aurait eu l’idée) d’assurer la coordination générale du projet, pendant trois ans, à Cape Town.

- Dois-je céder à la pression de la rue, petite chérie ? Veux-tu vraiment je meure sur la bête ? En éjaculant ?

- Pourquoi pas ?

- Mais Butembo, petite chérie, c’est un tout autre monde… Presque un autre pays… Et ce seront nécessairement d’autres amis… Il faudra se lever tôt et se coucher tard, sociabiliser, faire le plein de connaissances, rencontrer l’évêque du diocèse de Butembo-Beni, l’administrateur du territoire de Beni, le chef du « centre » de Butembo (ou le maire de la ville ?), le commandant militaire de la place, le chef de la police du ressort et le responsable local de l’Agence Nationale de Renseignements (ANR) qui tous se demanderont ce que « Flamand » est bien venu faire ici… ce que je suis venu espionner et pour quel gouvernement américain ou chinois ou quelle église du réveil ou du somnifère ou quelle compagnie minière ou pétrolière, je travaille), se taper des connards et découvrir des gens chouettes, manger beaucoup, boire trop, « vivre » de nombreux faits divers, entendre des potins, lancer des rumeurs, recueillir des confidences de femmes libres et de soldats ivres… Rencontrer « ceux de Butembo », les apprivoiser, ne pas trop leur déplaire… En seulement six mois ! De toutes pièces, sans séminaire de formation, ni période probatoire ! C’est beaucoup me demander, non ?

- Ne t’en fais pas trop, douchka ! Il y a sûrement plein de canards boiteux et de chiens écrasés dans ce bled-là aussi ! Comme partout ailleurs ! Et de la bière aussi ! Et des cigarettes aussi ! Et des bistrots, des ngandas, des buvettes ou des terrasses aussi ! A profusion ! C’est ta spécialité, non ? Je suis sûre que tu t’en sortiras très bien !

- A Butembo, les draps de lit sont-ils râpeux ? Et les moustiques affamés et pervers ? Et les murs criblés de balles ? Y a-t-il des chauves-souris à Butembo ? Les chasse-t-on avec un signe de la croix ou à l’aide d’un filet à papillons ? Les mange-t-on ou les vénère-t-on ? Et les matelas, dans les petits hôtels de Butembo, sont-ils bien affinés, sanglants, pisseux, imprégnés d’histoires de cœur et de foutre ? Quelles odeurs de cuisine inhale-t-on à Butembo ? Y mange-t-on du manioc doux et de l’igname? Et des makemba grillées, des lituma, des épis de maïs (frits ou bouillis) et des mbala sukali ? Ou des bisamunyu comme à l’hôtel Salama de Bandalungwa ? Avec du pili-pili ? Y prépare-t-on du mfumbwa ? Y fabrique-t-on du lotoko ? Y trouve-t-on du tangawisi ? Les jeunes femmes de Butembo portent-elles (avec ou sans calbar ?) le pagne, la robe ou le pantalon ? Quel est le lingala préféré des gens de Butembo ?

- Tu verras ça sur place, douchka !

- Mais je ne sais rien de Butembo, petite chérie. Et je n’y connais personne. Ça m’effraie, ça m’angoisse…Je ne sais même pas quelles sont les principales marques de cervoise qui y sont distribuées !

- Excellent ! Comme ça tu auras plein de choses à apprendre, plein de nouvelles bières (venant peut-être de Kampala, de Nairobi ou de Canton) à essayer et plein de gens à découvrir ! Tu pourras même inventer des lieux et les personnages qui s’y produisent ! Et les boissons qui les arrosent ! On peut te faire confiance pour ça ! Et personne ne pourra jamais te contredire !

- OK ! J’accepte Butembo si tu acceptes Cape Town !

- D’accord, douchka ! Tope là !

- Viendras-tu me voir à Butembo, petite chérie ? Faudra-t-il que je te rende (cette « taxe d’accompagnement » dans tel ou tel hôtel de Beni, c’est quoi ça, douchka, tu peux bien m’expliquer ? et cesse de me prendre pour une idiote !) des comptes ?

Si le projet démarre et que ma candidature est retenue, je devrai, sans doute passer par Cape Town. Etape obligatoire avant d’atterrir à Butembo...

Mais si je commençais plutôt par Kinshasa, la référence, la ville-province, la capitale ?

- Y a-t-il une rue ou une avenue Butembo à Kinshasa ? Poussiéreuse ou goudronneuse ? Dans quelle commune, dans quel quartier ?

Peut-on donc transiter par Kinshasa

- Y faire quelques adieux, distribuer quelques bonjours, embrasser ma deuxième fille (Nadine, alias « Mamounet », alias « Mima ») et mes trois kokos (Sukina, Kako et Tensia) néo-kinois, apprendre à vivre avec eux, lire à Tensia


Certains sont carrément immoraux.

Dans l’un d’eux, un jeune et joli chasseur (après avoir vaincu un infâme griffon, un être effroyable au corps de lion, avec trois têtes d’aigle crachant du feu et avoir ainsi débarrassé le royaume du monstre qui le terrorisait) épouse

- Comment tu t’appelles, Princesse ?

- Citronnelle ! Je suis la princesse Citronnelle, la fille préférée du Roi, mon Père !

une jeune et jolie princesse célibataire (qui, sans l’intervention de ce vert et séduisant chasseur, aurait été livrée à l’horrible animal, hachée menu, grillée et dévorée par chacune des trois ignobles gueules de la bête hideuse) et, le soir même de ses noces (alors même que les deux amoureux s’apprêtaient à entamer une longue et sublime nuit de bonheur conjugal), ne voilà-t-il pas que le chasseur aperçoit

- Oh, la vision de rêve ! Oh, l’apparition mariale !

par la fenêtre de la chambre à coucher matrimoniale, une magnifique biche blanche et …

- Attendez-moi, Princesse, j’arrive !

se rajuste en vitesse et part seul dans la forêt, avec besace et tromblon, à la poursuite de ce gibier exceptionnel et…

Objection de conscience ? Désertion devant l’ennemi ? Abandon de poste ?

Refus d’assumer sa destinée ? Irresponsabilité sociale ?

Abracadabrance ?

Vésanie ?

se fait changer en pierre par une redoutable sorcière, gardienne de la forêt et protectrice des êtres et des animaux qui l’habitent…

Heureusement, l’histoire1 ne s’arrête pas là et se termine bien pour le chasseur. La sorcière accepte de lui rendre la vie. Et sa douce et tendre épouse se montre disposée à lui pardonner ses erreurs de jeunesse…


des contes qu’elle connaît déjà par cœur (elle me surveille de près… contrôle le déroulement et l’enchaînement des séquences, m’annonce la suite des évènements, me sonde, me met à l’épreuve et me tient à l’oeil, me flique et vérifie si je ne zappe pas certaines scènes ou si je ne déforme pas, carrément, certains épisodes…)

pour aller à Butembo ? Est-ce permis ? Est-ce possible ? Quels sont les termes de référence du projet ?

Muka, alias « Tantine Betena », alias « Motema Magique », parvient à vendre quelques tableaux et m’offre

- Sans toi, petite chérie ?

- Sans moi, douchka !

un billet d’avion pour Kinshasa. J’envoie aussitôt un message à différents (très anciens et plus récents) amis kinois pour leur annoncer mon arrivée prochaine. Je remercie ceux qui m’ont répondu et

- Et les autres, douchka ?

- Les autres, je ne les embêterai pas ! Je m’y engage !

- Parano, va !

promet de les recontacter et de leur communiquer un numéro de téléphone aussitôt que je serai sur place.

1 Pour plus de détails, on se référera au conte ampliatif, pas du tout pour enfants, « La princesse et le chasseur »